Qu’elle soit « l’usine du monde » ne fait pas perdre à la Chine son héritage culturel. La capitale du Yunnan est ceinturée par un grand plan d’eau, le lac Dianchi. Sur ses rivages, Niulan, un village de pêcheurs transformé en pôle touristique écologique, maintient l’art de la xylographie, l’impression en relief sur des planches de bois. Dans cet écrin, on a aussi la preuve que le communisme n’a pas tué l’esprit entrepreneurial…
(KUNMING) – Qui de Gutenberg ou d’un innovateur chinois est le père de l’imprimerie ? La jeune dame est à l’œuvre avec le geste précis de l’artiste. L’artisan répète des gestes millénaires. Un silence respectueux de son public accompagne chacun de ses mouvements. Des tablettes d’impression en bois représentant les signes du zodiaque, une planche ligneuse enduite d’encre… de Chine, un rouleau pour étaler la pâte noire et une feuille de papier blanc qui recevra plus tard les signes typographiques qu’elle avait préalablement préparés. La tablette (équivalent actuel en imprimerie moderne à préciser) est noircie à l’encre, puis, avec des gestes délicats, elle y appose la feuille de papier et la presse pour imprégner d’encre les motifs. Ces feuillets ainsi imprimés sont appelés « Jia Ma ».
Cet art est connu sous le nom de xylographie, une technique d’impression en relief où une image ou un texte est gravé dans une planche de bois. L’encre est appliquée sur les parties en relief de la gravure, puis la planche est pressée sur du papier ou du tissu, laissant une empreinte. « Elle demande si vous voulez essayer », lance au groupe de visiteurs un guide. Les tablettes sont prises au hasard et, bientôt, la petite foule s’est transformée en classe de travaux pratiques. L’opération paraissait simple à première vue, mais autant la quantité d’encre que la pression exercée sont déterminantes pour le résultat final. Au résultat, nous obtenons une magnifique estampe illustrée par un lapin avec le chiffre 666 que l’on s’empresse de figer dans un cadre en bois pour le garder en souvenir. « C’est un signe très recherché dans l’horoscope et le chiffre signifie le bonheur », explique un accompagnant. Il est vrai que le bonheur ne paraît jamais loin ici, dans cet écrin de verdure où le temps semble arrêté, où tout bruit intempestif sonne comme une fausse note dans une partition.
Mélange de tradition et de modernité
Le village de pêcheurs de Niulan, situé aux bords du lac Dianchi, non loin de Kunming, la capitale de la province du Yunnan, s’étend sur 40 hectares. La ruralité a quitté ces lieux depuis des décennies, quand le gouvernement provincial a décidé de transformer le site en un modèle de développement durable qui le voit désormais faire figure de pôle touristique tout en préservant l’activité de pêche, rappelée par les barques amarrées au rivage ou qui dodelinent au gré des vaguelettes sur l’immense étendue d’eau. « Ces dernières années, Niulian a activement répondu à la stratégie nationale de revitalisation rurale. S’appuyant sur ses atouts géographiques uniques et ses ressources naturelles, il a entrepris une série de rénovations et d’améliorations », explique un guide. En développant le tourisme rural, qui combine l’attrait du village de pêcheurs traditionnel et les exigences du tourisme moderne, il s’est transformé en un nouveau « village star des réseaux », regroupant détente, visites et expériences.
L’arrivée d’une génération de « nouveaux paysans » a encore accéléré la revitalisation rurale du village de Niulan. Dans cet écolodge surplombant le lac, entouré par les « montagnes de l’est » qui tutoient le ciel en ce mois de septembre, le gazon rasé de près, les tentes de camping, les routes en lacets, les bûches pour préparer les feux de bois, les tentes en toile de jute tendues sur un vaste pré, alors qu’une douce brise printanière caresse les esprits, ses 217 habitants n’ont pas seulement des préoccupations écologiques. Pour passer du potentiel à la plus-value, la coopérative des villageois a noué une joint-venture avec une entreprise de promotion touristique et recruté ainsi un manager.
En 2023, le village a atteint 22.000 yuans (1,8 million FCfa) par habitant, selon le manager, Xu Xi, interrogé par China Economic Weekly. Pas étonnant donc d’y voir un hôtel de luxe avec une vue imprenable sur les alentours de la région, dans un calme monastique. L’hôtel-boutique Youli, inauguré cette année, détonne par son design. Il a été aménagé à partir de quatre anciennes maisons villageoises et constitue un projet culturel et touristique, co-créé par l’État, les entreprises et les habitants du Yunnan. Inspiré du style dit « wabi-sabi », l’établissement fait la part belle aux matériaux naturels – bois brut, pierre, lin – tout en conservant des éléments typiques du village de pêcheurs, tels que des lampes réalisées à partir de vieilles barques, des rames ou encore des murs en terre battue.
Ancrage local pour mieux conquérir le monde
Dans la Chine de 2025, l’esprit d’entreprise est aussi de mise, c’est connu. Cela est illustré par ce couple sino-japonais, tenancier d’une boulangerie française (ils se sont connus lors de leurs études à Paris), « Le Chouchou », qui attire une clientèle aisée venant parfois des lointaines mégalopoles comme Shanghai ou Beijing. Mais c’est surtout la classe moyenne de Kunming, dont on aperçoit au loin les gratte-ciels, qui constitue l’essentiel de sa clientèle. De petits commerces animent la vie dans le village, ainsi que des cultures sous serres offrant généreusement toutes sortes de fruits et légumes. Sous sa tente installée au camping, Min Yao est chargée de présenter aux visiteurs le savoir-faire chinois en art d’impression, une tradition qui fait écho à un lointain héritage, alors que son pays est maintenant à la pointe des savoirs en interaction homme-machine. La date de 1440 environ semble la plus communément admise pour l’invention de l’imprimerie par l’homme de Mayence, en Allemagne, selon la référence occidentale.
Mais l’innovation de Gutenberg supposait du papier, invention elle-même chinoise. D’ailleurs, « l’existence de l’imprimerie est attestée en Chine depuis le IXe siècle sur des plaques de bois, dès la dynastie Tang (618-907), sur des rouleaux ou avec des caractères de porcelaine depuis le XIe siècle et en métal depuis 1234 », selon Dominique Boullier, dans Sociologue du numérique. L’invention des caractères mobiles par Bi Sheng vers l’an 1000 est également attestée. La Chine est ancrée dans ses héritages, dans son savoir-faire, surtout dans sa culture. Car l’initiative « La Ceinture et la Route », cette idée d’un monde aux ressources partagées, met surtout en avant un double leadership : celui proprement culturel, et en même temps la technologie du futur, l’industrie de demain, celle qui anticipe l’épuisement des matières premières minérales.
Samboudian Kamara