Urbaniste et géomarketeur, par ailleurs président du club de réflexion sur l’urbain, Daouda Thiandoum a fait une analyse pointue sur la mise en place des futurs pôles territoires. Ainsi, il est revenu sur plusieurs aspects dont la démarche participative et inclusive, l’approche économique adéquate qui a une place centrale dans la nouvelle réforme.
Les autorités viennent de boucler un long périple de 8 jours dans les pôles territoires pour leur mise en place. Comment jugez-vous cette démarche ?
Oui, j’apprécie la tournée du ministre dans les pôles. La démarche ne pouvait pas être autrement puisque cette approche a été pratiquement utilisée lors des deux premières réformes de la décentralisation. Lors de l’Acte 2, il y avait même une stratégie de benchmarking (ou analyse comparative) qui avait été appliquée. C’était normal puisqu’il s’agissait d’une décentralisation plus affirmée. C’est la raison pour laquelle ceux qui pilotaient cette réforme avaient même effectué des voyages à l’étranger pour s’imprégner des meilleures expériences. Pour l’Acte 3, tel n’a pas été le cas. Il s’est soudainement présenté à nous et les conséquences tout le monde le sait. Les objectifs qui étaient préconisés et les résultats escomptés n’ont pas été atteints pour la plupart. Donc, nous saluons cette démarche inclusive, participative et itérative pour réussir ce nouveau pari. L’autre aspect à souligner, c’est le fait que la collaboration aujourd’hui est encadrée du point de vue juridique par la Constitution qui consacre la participation citoyenne comme étant un acte décisif au sein des politiques publiques. Mais également, le Code général des collectivités territoriales a ce même souci, car la participation citoyenne est devenue aujourd’hui un principe fondamental dans le cadre de la gestion des collectivités territoriales.
Ces pôles ne sont-ils pas l’épine dorsale du programme Vison Sénégal 2050 ?
On peut dire que c’est le cas quand on regarde ce qui a été écrit dans le cadre du projet Diomaye Président. Les pôles territoires y avaient été annoncés dans ce document stratégique. Une fois au pouvoir, cela a été aussi confirmé dans le cadre de la Stratégie nationale de développement. Ainsi, dans la vision «Sénégal 2050», les pôles territoires ont occupé une grande place. En plus, pratiquement dans toutes les sorties du président de la République, du Premier ministre ainsi que du ministre de tutelle Moussa Bala Fofana, les pôles territoires reviennent en boucle. Donc, cela nous laisse dans une position affirmative puisque les pôles territoires constituent l’épine dorsale de la vision Sénégal 2050.
L’approche économique est essentielle pour la réussite de ces entités. Comment les acteurs doivent-ils s’y prendre ?
L’économie a une place significative dans cette nouvelle réforme de la décentralisation. Le tournant que devrait réussir l’Acte 4 de la décentralisation est de permettre aux pôles territoires d’avoir des moyens conséquents afin qu’ils puissent définir leur propre stratégie de développement. Ce qui nous interpelle sur les questions qui sont relatives à la planification et à la prospective territoriale. Le développement doit être planifié et allé même au-delà, vers la prospective, et être aussi en moyen de capacitation afin de pouvoir justement valoriser le potentiel de développement qui existe dans ces territoires. Dans cette logique de valorisation, le renforcement des capacités est très important. Il faudrait, à mon avis, que l’économie occupe la place nodale de toute la stratégie du développement du pôle.
Quelque part, on peut se sentir rassuré puisque des schémas directeurs d’aménagement et de développement territorial existent d’abord pour les pôles tests, le diagnostic de tout le potentiel du pôle est fait et les orientations stratégiques déclinées autour de plans d’actions permettant de mettre en relief les avantages comparatifs de chaque pôle territoire. Donc, c’est ce document cadre qui permet d’avoir déjà une lecture d’ensemble du poids économique du pôle.
Qu’en sera-t-il des projets de développement ?
Ils doivent être mis en œuvre dans ces territoires. Je pense que l’on devrait agir sur le Code des collectivités territoriales pour transférer certaines compétences concomitantes aux moyens qui sont disponibles. Il ne s’agit pas, à mon avis, que l’État garde certaines prérogatives qui devraient forcément aller vers les collectivités territoriales, vers les pôles. Ce qui permettrait à ces derniers de pouvoir s’éclore. Cela passerait forcément par une lecture claire, simple, nette et précise des relations qui existent entre l’État central et les pôles territoires. De plus, l’enjeu de taille pour trouver des solutions adéquates à la mise en place des pôles est relatif à sa gouvernance. Aujourd’hui, les quatre pôles sont des régions administratives telles que configurées actuellement. Les quatre autres sont en tout cas des regroupements de régions, et on sait que ce regroupement est hétérogène. Le défi est donc de faire en sorte que ces gens arrivent à parler le même langage, à se comprendre, à décliner la vision territoriale du pôle, à avoir des ressources humaines compétentes et capables de développer les spécificités, tout en ayant à leur disposition des leviers permettant de lever les contraintes financières qui vont arriver.
Néanmoins, je ne vais pas oublier l’aspect marketing territorial parce qu’on ne peut pas parler de l’économie dans les pôles sans parler du marketing territorial. Ainsi, dans la dynamique de vendre la destination d’un pôle en faisant de telle sorte que la valorisation de l’endogène arrive à séduire l’exogène, il faudra une bonne stratégie de marketing territorial.
Il y a toujours des appréhensions chez certains élus. Que faire pour les rassurer avant la matérialisation des pôles ?
Je trouve que les inquiétudes des élus locaux sont normales, car, le changement est un défi dans toute organisation. Les gens ont peur de l’avenir et c’est à l’État maintenant de les rassurer. Pour moi, c’est tout à fait normal que les élus aient des appréhensions diverses sur les pôles territoires parce que c’est une nouveauté, c’est un changement radical. Mais, on doit toujours se poser des questions. Quel est le meilleur modèle ? Comment faire un meilleur benchmark ? Comment améliorer le process pour aller toujours de l’avant ? Surtout à l’heure où on parle de compétitivité territoriale, d’attractivité territoriale. On doit toujours chercher à affiner, à améliorer le modèle, le processus pour aller vers le développement du Sénégal.
Un autre aspect me semble important : l’acceptabilité. C’est elle qui va faire en sorte que ces élus locaux deviennent les ambassadeurs de ce projet. Ce processus passerait par des explications claires. Du coup, l’information, la sensibilisation, la communication sont aussi essentielles.
Propos recueillis par Bada MBATHIE

