La scène était animée, les esprits vifs et les arguments percutants. Hier, lors des «jeudis de l’économie», économistes et experts se sont réunis pour un débat sur une question qui divise les opinions : « Le Sénégal doit ou non sortir du FCfa ». Le panel, riche en points de vue divergents, a mis en lumière des arguments fondamentaux pour l’avenir monétaire et économique du pays.
Le débat sur le FCfa qui fait rage depuis des décennies a pris une nouvelle dimension, hier. La rencontre, animée par des figures de l’économie sénégalaise, a cristallisé les arguments pour et contre le maintien de cette monnaie, révélant la complexité d’un choix crucial pour l’avenir du Sénégal. Pour Amath Ndiaye, professeur d’économie à la Faculté des sciences économiques et de gestion (Faseg) comprendre le FCfa nécessite un retour sur son histoire. Il a mis en lumière les réformes de 1972, qu’il décrit comme une « réforme de la rupture ».
Abordant la souveraineté monétaire, le professeur a tenu à distinguer le droit de battre la monnaie de la simple « fabrication de billets ». Pour lui, la vraie souveraineté réside dans le contrôle de l’émission monétaire. Il a illustré son propos en expliquant que de nombreux pays souverains, y compris l’Algérie, fabriquent leurs billets à l’étranger, sans pour autant perdre leur souveraineté monétaire. Quant à la croissance économique, M. Ndiaye a réfuté l’idée que le taux de change constitue un frein. Il a présenté des données révélant un taux de croissance annuel moyen du Produit intérieur brut réel par habitant supérieur à 1,9 % pour l’Uemoa entre 2010 et 2022, dépassant d’autres pays de la Cedeao.
« Quand on dit qu’il n’y a pas de croissance, c’est faux », a-t-il affirmé. Il a également mis en exergue la faible inflation dans les pays de l’Uemoa, avec moins de 2 % en moyenne, un facteur, selon lui, « crucial pour la stabilité et le pouvoir d’achat ». Toutefois, le professeur Ndiaye a insisté sur l’intégration économique croissante au sein de la Cedeao et de l’Uemoa ; une dynamique essentielle pour le continent, soulignant le développement du secteur bancaire africain au Sénégal où 82 % des banques sont détenues par des capitaux africains. « Cela réduit la dépendance vis-à-vis des banques françaises », a-t-il renchéri.
« Cela réduit la dépendance vis-à-vis des banques françaises », a-t-il renchéri. De son côté, l’économiste Ndongo Samba Sylla, a déconstruit les arguments souvent avancés par les partisans du FCfa, arguant que la stabilité monétaire prônée n’est pas le Graal économique tant vanté. Il a remis en question l’existence même du FCfa en soulignant l’anomalie qu’il représente à l’échelle mondiale. « Partout à travers le monde, c’est le principe d’un État, une monnaie », a-t-il déclaré, précisant que seules quatre unions monétaires existent dans des États souverains, dont les deux blocs CFA et l’eurozone, représentant à peine 7 % de la population mondiale. De plus, Dr Sylla a mis en lumière la position marginale des pays du FCfa.
« Les pays qui utilisent le FCfa représentent 2,6 % de la population mondiale et juste 3,4 % du Pib mondial. Nous sommes l’exception. Avoir même ce type de débat montre que nous sommes en retard vis-à-vis de l’évolution historique », a-t-il ajouté, critiquant le manque de fondement scientifique des arguments pro-Cfa concernant l’inflation. « Ils n’ont pas une théorie de l’inflation. Ils n’ont pas une théorie de la relation entre inflation et développement économique », a-t-il soutenu.
Docteur Moussa Dembélé a contesté l’idée que le FCfa garantisse une croissance économique supérieure, présentant des données qui montrent que des pays non-FCfa comme le Rwanda et la Mauritanie affichent des taux de croissance similaires, voire plus élevés, malgré des taux d’inflation parfois supérieurs. Il a également dénoncé le « fétichisme du taux de croissance » qui, selon lui, ne se traduit pas en une création d’emplois suffisante, citant le secteur extractif sénégalais dont la contribution à l’emploi est marginale.
Pathé NIANG