Intervenant par visioconférence lors de la conférence sur le thème : « Démocratiser l’économie », le 17 juin, à Dakar, l’historien camerounais Achille Mbembe, par ailleurs directeur de la Fondation de l’innovation pour la démocratie, a indiqué que démocratiser l’économie suppose l’impératif de la limitation de la violence.
Achille Mbembe, directeur de la Fondation de l’innovation pour la démocratie, pense que la démocratie de l’économie, tout comme le renforcement de la forme substantive de la démocratie, requiert un « impératif de limitation de la violence » en Afrique. Pour cela, il est d’avis que, dans l’urgence, « il faut inventer un dispositif qui va s’occuper de canaliser la violence et de maintenir une frontière étanche entre la création générale et les pulsions de destruction ». « La guerre ne peut pas être le fondement du politique en Afrique », dit-il. Pour l’historien, plus de 60 ans après la décolonisation, le plus grand défi auquel le continent est confronté est « de créer des conditions matérielles de la liberté, de la subsistance et de la sécurité ». Persuadé qu’il n’y aura pas de souveraineté sans sécurité, sans accès à la subsistance et sans les conditions matérielles de la liberté, il ajoute qu’elle ne se réalisera pas sous les auspices exclusifs du libre marché. « Il faut certes libérer nos forces productives, mais d’une manière qui ne tourne ni à la guerre contre la nature ou le vivant ni à la guerre entre Africains eux-mêmes », indique-t-il, soulignant qu’il faut le faire d’une manière qui favorise « la libre circulation des personnes, des intelligences et de savoir-faire sur le continent ».
Pour Achille Mbembe, le chemin d’avenir passe nécessairement par la réinvention de la démocratie ou bien d’une démocratie substantive soucieuse du vivant et qui est le fruit de l’intelligence collective des Africains. « C’est une démocratie qui sortira des entrailles même de l’Afrique, de lutte contre quotidienne de la majorité des populations », explique le chercheur. Selon lui, « la réinvention de la démocratie passe par la constitution de l’imaginaire politique alternatif ». C’est dans ce sens qu’il pense que le droit international doit être « réformé » à travers l’aménagement de nouvelles formes de gouvernances planétaires consacrant le principe de « coappartenance » ou de « cohabitation » à la Terre. Le philosophe croit que c’est ce qui nous impose la menace climatique, la trajectoire écologique dominant la planète, c’est-à-dire une façon d’appréhender les enjeux de notre temps ».
Repenser la démocratie du continent passera, aux yeux de M. Mbembe, par « une profonde reconstruction intellectuelle ». À travers ses propres forces, avance-t-il, « l’Afrique doit faire entrer, dans la constitution de l’ordre continental, la double obligation pacifique et démocratique ». « En effet, si nous voulons la paix, la sécurité, la prospérité, il nous faudra faire recours à l’intelligence collective et mettre en mouvement de nouvelles coalitions sociales favorables à une démocratie substantive ». Cela suppose, de son point de vue, « de soumettre les rapports de force à ceux de droit ». Dans cette perspective, il précise que le renouvellement du projet démocratique à partir « du bas, des localités et des territoires est une proposition de bon temps ». « Reconstruire le tissu démocratique à l’échelle est un préalable à toute reconstitution en Afrique », conclut le chercheur.
Souleymane Diam SY