Le Sénégal est un pays fantastique de 18 millions d’habitants qui sont tous autant de spécialistes en tout. Des experts qui revêtent leurs nombreuses toges au gré de l’actualité (football, basket, politique, etc.). Ces experts en tout et souvent en rien se sont convertis en économistes, le temps d’une crise de la dette publique du Sénégal. Il est rare de voir sous nos cieux l’économie s’imposer de la sorte. Jusqu’ici, elle subissait la suprématie de la politique avec ses gros titres.
La politique fait vendre, entend-on très souvent dans le milieu de l’édition de presse pour justifier le fait de reléguer au second plan les autres urgences telles que l’éducation, la santé, l’économie, qui devaient être au cœur des préoccupations dans un pays sous-développé. Sous cet angle, le débat sur la dette est une bonne chose en soi, car il permet d’y voir plus clair, mais aussi et surtout d’apprendre. Cela suppose qu’il soit bien posé, loin de toute considération politique ou politicienne.
Depuis que le Premier ministre a porté au grand jour des irrégularités dans les finances publiques sur la période 2019-2023, les profanes auront beaucoup appris sur la dette et ses mécanismes, le produit intérieur brut, le rôle des corps de contrôle tels que la Cour des comptes, du Fonds monétaire international (Fmi). Mais il faut reconnaître que de nombreux Sénégalais ont peu appris ou mal compris ce qui s’est passé, à cause d’une politisation et d’une « peoplisation » d’une question très sérieuse. Georges Clémenceau disait que « la guerre, c’est une chose trop grave pour la laisser à des militaires ». Idem sur cette histoire de dette : elle est trop importante pour être laissée à la portée du premier venu. Il n’est pas interdit d’avoir une opinion, mais la plus clairvoyante se fabrique en puisant à la bonne source. Malheureusement, les éclairages des économistes de tous bords sont brouillés par les nombreux messages ou positions politiquement colorées, amplifiées par les réseaux sociaux.
Certains chroniqueurs, politiciens et influenceurs, croyant rendre service à leur camp, polluent le débat au lieu de convaincre. Pire, parmi eux, il y en a qui ramènent le débat au niveau le plus bas. Cette façon de régler les contradictions par la violence verbale pousse de plus en plus les sachants à se terrer, privant les citoyens de leurs éclairages à travers les plateaux de télé ou les colonnes des journaux. À quoi bon, quand on sait que son interlocuteur est incapable d’élévation intellectuelle ? On semble oublier, dans ce pays, un enseignement acquis à l’école, mais mal intégré : c’est du choc des idées que jaillit la lumière et non le chaos.
À condition que l’étincelle contre l’ignorance ne soit provoquée par des acteurs armés d’idées (spécialistes et autres intellectuels objectifs) et par des journalistes capables de tirer les vers du nez de leurs interlocuteurs, sans les rabaisser. Dans une tribune, le psychologue conseiller Ngor Dieng fait une analyse pertinente : « Le débat, dans l’espace public sénégalais, devrait plutôt porter sur les grandes orientations stratégiques du gouvernement, les politiques de développement de l’État, la santé, l’éducation, l’agriculture, l’autosuffisance alimentaire, la souveraineté économique… Ces questions sont impersonnelles et concernent directement l’émergence de notre pays, sans parti pris ni jugement ». Oui, l’État, à travers le choc des idées, a une opportunité d’expliquer la pertinence et la finalité de ses politiques, qui ne sont pas toujours comprises par les citoyens.
Par exemple, la nécessité d’élargir l’assiette fiscale est mal perçue par certains contribuables qui ignorent que la finalité de l’impôt, c’est assurer leur bien-être et non les dépouiller. Savoir aussi que les levers de fonds sur le marché financier, c’est pour construire ce pays. Notre tradition de l’oralité ne doit pas perdre sa vocation première : transmettre des connaissances et des valeurs. malick.ciss@lesoleil.sn