Une houle de 3 mètres est attendue sur les côtes sénégalaises à partir de demain. Selon l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacim), elle sera de mise jusqu’au samedi. À Soumbédioune, haut lieu de la pêche artisanale à Dakar, les pêcheurs se préparent à faire face à ce phénomène naturel qui va les priver de mer pour quatre jours.
En cette matinée du lundi 20 janvier, le soleil éclaire timidement la plage de Soumbédioune où s’alignent des pirogues et des filets. Entre le quai de pêche et le marché au poisson, l’effervescence des pêcheurs et des vendeurs qui s’affairent autour des pirogues et des caisses de poissons contraste avec le calme apparent de la mer. Elle soulève un vent frais qui titille la peau et les narines.
Cette atmosphère paisible est pour le vieux Ousseynou Kane, pêcheur depuis 40 ans, un calme qui annonce une tempête. Du haut de son expérience, il décrypte le message : «Regarde comment la mer est calme, c’est impressionnant. Mais c’est toujours comme ça. Et puis, quand ça lui plaît, elle se lève et emporte tout sur son passage », soutient-il en souriant.
Selon lui, à Soumbédioune, les pêcheurs sont au courant de l’alerte de l’Anacim, et ils se préparent en conséquence. L’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacim) a, en effet, annoncé, depuis vendredi dernier, une houle de 3 mètres qui va toucher les côtes sénégalaises.
« Pas de baignades ni d’activité nautiques. Pêcheurs et navigateurs garder vos bateaux à quai », a-t-elle préconisé à l’endroit des usagers de la mer. Assis à l’ombre d’une pirogue, visage buriné par le soleil, il raconte des années de lutte contre les caprices de l’océan. « Quand ces alertes sont données, il faut éviter d’aller en mer. Certains n’entendent pas toujours raison, mais c’est à leurs risques et périls », confie-t-il.
Depuis jeudi, Ousseynou n’a pas pris la mer. Pourtant, il envisage de tenter une sortie aujourd’hui, avant que les vagues ne deviennent impraticables.
« La semaine dernière, j’étais parti en mer, et nous étions confronté à une houle de 2 mètres, c’est pourquoi je n’y suis pas retourné depuis. Mais je compte quand-même y aller demain (aujourd’hui : ndlr) pour gagner un peu d’argent avant qu’elle ne se soulève encore », fait-il savoir, témoignant qu’il n’a jamais osé braver la mer en temps d’intempéries. L’homme se souvient, en effet, d’un épisode marquant en 2000, lorsqu’une sortie en mer avait failli tourner au drame. «Quand nous partions, la mer était calme, mais elle a changé de visage au retour. Mon frère, avec qui j’étais (qui a péri en mer par la suite) et moi avions échappé de justesse au chavirement de notre pirogue. Aujourd’hui, grâce aux alertes et aux réseaux sociaux, ces tragédies peuvent être évitées », raconte-t-il, le regard perdu vers l’horizon. Assis sur sa pirogue à côté de Ousseynou, Abdoulaye Yade, un autre pêcheur, partage le point de vue de son collègue. « Nous de l’Union nationale des pêcheurs artisanaux du Sénégal (Unapas) avons un groupe WhatsApp où nous partageons toutes les informations importantes. Une houle de 1m ou 2m parfois, nous pouvons résister. Mais une houle de 3 mètres, c’est trop dangereux. Je ne conseille à personne de tenter le diable », lâche-t-il.
« Quand la mer porte ses habits… »
À Soumbédioune, le mot d’ordre est donné et les pêcheurs se préparent en conséquence. Le soleil est à son zénith. Les bruits des vagues se mêlent au bruit des moteurs et aux cris des pêcheurs qui donnent la main à quelques bateaux qui viennent d’accoster. Pathé Niang est l’un d’eux. Pêcheur à la ligne, aussitôt accosté, il s’affaire avec son équipe à arranger ses filets emmêlés qu’ils remettent dans leur once avant sa prochaine tournée.
« Je compte plonger cette nuit vers deux heures du matin pour revenir aux alentours de 10 heures. Mais je dois dire que, lorsque nous recevons ces alertes, nous n’allons pas en mer. Nous préférons rester sur le continent », confie-t-il. Selon lui, la mer est très agitée ces temps-ci. Il y a régulièrement des houles. À cela s’ajoute le fait que la mer n’est pas très poissonneuse. Pathé témoigne : « Nous devons aller en mer tous les jours pour avoir de quoi bouillir la marmite. Si ces intempéries étaient de l’œuvre de l’homme, nous allions protester ou sortir pour manifester», souligne-t-il guilleret. Pour Issa Fall, coordinateur du Conseil local de la pêche artisanale (Clpa) à Dakar sud, la prudence est de mise.
« Dès demain, nous allons remonter les drapeaux rouges à la tête de tous les mâts sur la plage, indique-t-il avant d’ajouter : « Nos grands-pères disaient que lorsque la mer porte ses habits, tout le monde doit se déshabiller. Nous profitons donc de la mer calme d’aujourd’hui et de demain ». Issa souligne que la houle prévue est exceptionnelle. « La semaine dernière, avec une houle de 2,5 mètres, nous avons dû déplacer toutes les pirogues de la plage. Avec 3 mètres, c’est certain que toute la plage sera submergée », annonce-t-il.
De son coté, Omar Diagne Sow, président de l’Unapas section Soumbédioune, Ngor, Ouakam et Terrou Baye Sogui, se félicite qu’avec les technologies de l’information et les annonces des autorités, les pêcheurs peuvent avoir à temps les changements en mer. Selon lui, grâce aux groupes WhatsApp et aux annonces officielles, les pêcheurs peuvent s’organiser. « Dans tous nos groupes : ceux de Dakar pêche, Voie du littoral, Unapas, Clpa, etc., nous croyons que l’information est vraiment passée et que tous nos amis pêcheurs vont entendre raison », estime-t-il, non sans soulever qu’il peut y avoir des récalcitrants. Mais à ceux-là, Oumar Diagne Sow dit : « Guèdj gui limouy neex mo eup limouy naxari », (en wolof : ce n’est que de façon exceptionnelle que la mer est inhospitalière).
Évitons donc de braver ces flots et laissons la mer reprendre ses droits », conseille Oumar Diagne Sow.
Souleymane WANE