Le Sénégal n’est pas le premier pays touché par la dette cachée. Tant s’en faut ! Une étude du Fmi prenant en compte 146 pays et couvrant les 51 dernières années permet, à travers deux cas pratiques (Zimbabwe et Zambie), d’anticiper les conséquences.
La révélation d’une dette cachée de sept milliards de dollars, à la suite de la récente mission du Fmi, continue de faire couler beaucoup d’encre. Loin d’être un cas isolé, la dette cachée est une pratique fréquente dans plusieurs pays, riches comme pauvres. Une étude du Fmi intitulée : « Hidden Debt Revelations » (Révélations sur la dette cachée), publiée en juillet 2024, évalue à plus de 1.000 milliards de dollars les emprunts souverains « cachés », qui ne sont ajoutés aux statistiques de la dette qu’a posteriori. Ce montant représente plus de 12 % du total des emprunts souverains des 146 pays concernés par l’étude. Il constitue une estimation minimale de l’ampleur réelle de la dette cachée, car toute la dette non déclarée n’est pas toujours révélée. Cette étude qui s’appuie sur les statistiques de la dette internationale de la Banque mondiale et couvre les 51 dernières années met en lumière la sous-déclaration récurrente de la dette publique.
Ce phénomène est particulièrement présent dans les pays aux institutions fragiles, bien qu’il ne soit pas inexistant dans les États dotés de structures solides. Il touche principalement les prêts privés non obligataires et les financements bilatéraux, souvent exclus des statistiques officielles. La Chine illustre bien cette opacité : la moitié de ses prêts, bien qu’elle soit le premier créancier mondial, ne figurent pas dans les bases de données de la Banque mondiale. L’accumulation de dettes cachées suit un schéma procyclique : elle s’accroît en période de croissance et est révélée lors des ralentissements économiques. La crise de la Covid-19 a entraîné la plus importante correction des statistiques de la dette en un demi-siècle. Ces révisions tardives compliquent la gestion des crises, alimentent l’incertitude des investisseurs et rendent plus difficiles les restructurations souveraines. Les cas emblématiques du Mozambique et de la Zambie Seuls les pays dotés de fondamentaux économiques solides et d’un faible niveau de dettes cachées bénéficient d’une transparence accrue.
En revanche, les pays présentant une dette cachée élevée subissent des coûts d’emprunt plus importants lorsqu’ils sont exposés à une surveillance accrue. Cela suggère que les politiques de transparence devraient être mises en œuvre en période de conjoncture favorable afin d’éviter les effets négatifs d’une révélation en temps de crise. L’étude du Fmi analyse les cas du Mozambique et de la Zambie pour illustrer le concept d’ « intolérance à la dette ». Au Mozambique, les rumeurs d’une dette cachée ont entraîné, en 2016, une forte hausse des écarts de taux des obligations, les investisseurs craignant que l’existence de passifs non déclarés ne dilue la valeur de recouvrement des obligations en cas de défaut. Ce dernier s’est produit en janvier 2017.
Des audits du Fmi et d’experts-comptables ont confirmé l’existence de 1,2 milliard de dollars de passifs cachés. Il a fallu quatre ans pour finaliser la renégociation avec les créanciers et depuis, le Mozambique n’a plus accédé au marché obligataire international. En Zambie, les coûts d’emprunt ont augmenté, en avril 2018, lorsque la presse et les investisseurs ont remis en question la fiabilité des statistiques officielles. En mars 2020, la Zambie a sollicité des banques pour restructurer 11,2 milliards de dollars de dettes extérieures.
En octobre 2020, le gouvernement a fait défaut sur un paiement de coupon de 42,5 millions de dollars. L’opacité de la dette a retardé la restructuration. Et en 2024, la dette extérieure atteignait 15,7 milliards de dollars, soit une augmentation de 3,2 milliards par rapport à 2021. L’étude conclut que seuls les pays dotés de fondamentaux solides et d’une faible dette cachée profitent d’une transparence accrue. En revanche, les pays avec une dette cachée élevée subissent des pertes de bien-être et des conditions d’emprunt défavorables. Ainsi, la mise en œuvre des politiques de transparence devrait être contracyclique afin de minimiser les conséquences négatives des révélations en temps de crise.
Par Seydou KA