Une nouvelle ère s’ouvre pour le Sénégal avec le lancement du nouveau référentiel économique et politique dénommé « Sénégal 2050 ».
Ce projet a été présenté, le 14 octobre 2024, au Centre international de conférences Abdou Diouf de Diamniadio (Cicad), en présence du chef de l’État, Bassirou Diomaye Faye. Il repose sur quatre axes que le Premier ministre compare à « un baobab de l’espoir ». Les racines représentent la bonne gouvernance et l’engagement africain ; le tronc, l’aménagement du territoire et le développement durable ; les branches, le capital humain de qualité et la garantie de l’équité sociale ; les fruits, l’ambition de bâtir une économie compétitive pour le développement économique endogène. Ce nouveau référentiel s’appuie sur un diagnostic peu reluisant de l’économie sénégalaise post-indépendance.
Selon Modou Thiam, directeur de la Planification au ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération, celle-ci est caractérisée par « un modèle économique peu créateur de valeur, avec une hausse du PIB par habitant de 0,4 %, un développement durable fragile, un cercle vicieux d’endettement, en particulier un doublement du taux d’endettement ». Moteurs de croissance Après ce constat implacable, le directeur de Performances Group, Victor Ndiaye, a présenté les plans phares de la nouvelle stratégie. Selon lui, l’ambition est de bâtir « une Nation souveraine, juste et prospère, ancrée dans des valeurs fortes ». L’agenda 2050, dit-il, s’appuie sur des filières stratégiques autour de quatre grands moteurs de croissance. Le premier, explique M. Ndiaye, sera la transformation des industries extractives en commençant par les hydrocarbures. À ce niveau, l’ambition d’ici à 2050, c’est d’avoir 12 000 MW de plus dès les 10 prochaines années afin d’avoir un prix de 60 FCFA le kWh et, dès ce mandat, avec une suppression des subventions et un début de réduction des prix facturés.
À côté, indique-t-il, le gouvernement lancera le développement de bases logistiques pétrolières pour faire du Sénégal la principale plateforme de services des activités pétrolières du bassin régional. Selon le patron de Performances Group, il est également prévu de bâtir la nouvelle cité de la pétrochimie qui rassemblera de grands projets pétrochimiques avec cinq à huit milliards de dollars d’investissements et 15 000 emplois. La deuxième filière stratégique, ce sont les phosphates. Le Sénégal, relève Victor Ndiaye, dispose d’importantes réserves à Darou Mousty (département de Kébémer) et surtout à Ndendory, près de Matam, et qui sont actuellement peu valorisées. « Aujourd’hui, une partie de ce phosphate est exploitée par les Ics (Industries Chimiques du Sénégal), principalement pour produire de l’acide phosphorique exporté en Inde. La vision des nouvelles autorités est différente.
Désormais, précise-t-il, le phosphate sénégalais sera principalement valorisé et transformé en engrais ici, au Sénégal, avec le grand pôle industriel qui sera à Matam. En outre, le Sénégal passera à la transformation du phosphate en engrais afin d’assurer la souveraineté agricole et appuyer les pays de la sous-région dans cette même bataille. » La troisième filière extractive à valoriser, selon M. Ndiaye, concerne les matériaux de construction. L’objectif sera de réduire drastiquement les importations estimées à 60 % de nos besoins et qui impactent aussi bien le coût que la qualité des constructions.
Valoriser le potentiel agricole
Le deuxième moteur de croissance de l’économie sénégalaise, identifié à côté des ressources extractives, est l’agriculture et les industries agroalimentaires. Ainsi, le Sénégal compte valoriser son potentiel pour devenir une puissance agricole moderne. Le tout, en prônant un nouveau modèle agricole à plus haut rendement avec des filières organisées et connectées au marché. « L’agriculteur sénégalais de demain sera un acteur formel, formé, connecté à la base de données agricoles qui lui fournira des informations précieuses comme les alertes météo. Il sera sécurisé par un bail agricole ; il sera membre d’une coopérative qui lui apportera de précieux conseils et services et qui sera sous contrat avec les Agropoles et leur fournira des produits traçables », détaille le directeur de Performances Group. Grâce à cet agriculteur, ajoute-t-il, le Sénégal assurera, en 2050, sa souveraineté alimentaire et exportera des produits alimentaires à forte valeur agricole.
Le troisième moteur de croissance sera l’industrie manufacturière. « La vision 2050, c’est une réindustrialisation, mais sur des bases solides, notamment dans quatre filières : les industries chimiques et pharmaceutiques ; le cuir et le textile ; les industries d’assemblage ; les industries de recyclage », liste Victor Ndiaye. Enfin, le quatrième moteur de croissance porte sur les services à valeur ajoutée considérés comme le moteur de l’économie mondiale. Dès lors, l’ambition du « Projet » est aussi d’en faire, demain, le moteur de l’économie sénégalaise à travers une large adoption qui permettra d’améliorer aussi bien la vie quotidienne que l’économie et la gouvernance. Pour cela, le pays commencera à mettre en place, dès ce mandat, les fondements solides d’une société numérique où chaque citoyen disposera d’une identité numérique fiable. Le foncier et les biens immobiliers seront également digitalisés. Dans cette logique, les services publics seront entièrement numérisés, de même que de nombreux secteurs de l’économie. « Et l’État encouragera l’émergence de champions nationaux, pour que les Google et les Facebook de demain soient sénégalais », préconise M. Ndiaye.
7 pôles territoriaux
Dans l’agenda 2050, le gouvernement du Sénégal prône un développement par les territoires selon les spécialités et les richesses naturelles. Dakar sera le grand pôle, avec l’ambition d’être la capitale mondiale de la mode et de la culture africaine ; la métropole du tourisme d’affaires ; le pôle régional de formation, de recherche et d’innovation ; le pôle d’industrie manufacturière et d’assemblage. Il s’agira pour Dakar de faire passer le PIB par habitant de 1,8 % à 10 % entre 2024 et 2050, et le taux d’emploi de 29 % à 40 %. Pour le pôle de Thiès, le gouvernement prévoit une plateforme logistique et un hub aéroportuaire ; la valorisation des industries extractives et manufacturières ; l’érection d’une nouvelle ville pétrochimique ; l’envol touristique. Ainsi, le PIB pour ce pôle devrait se hisser à 3,7 %, contre 0,8 % actuellement.
Le pôle Centre, qui sera installé à Kaolack, sera un hub agro-industriel autour de l’Agropole Centre (arachide et oléagineux, céréales, sel), un carrefour logistique, un fer de lance pour le tourisme religieux. Le pôle Sud, à Ziguinchor, sera un grenier agricole et un pôle agro-industriel autour de l’Agropole Sud à travers les fruits, les légumes, les céréales, l’anacarde et l’arachide. Le pôle Sud-Est, à Tambacounda, se focalisera sur l’écotourisme tout en constituant un hub métallurgique régional. Pour la zone Nord-Est, le pôle sera dédié à l’élevage intensif et aux produits forestiers non ligneux (Grande Muraille Verte). S’agissant du pôle Nord, il sera question d’en faire un grenier agricole du Sahel avec l’Agropole Nord (pêche et aquaculture, riz, céréales, sucre). Pour Diourbel et Louga, le pôle sera chargé de promouvoir le tourisme religieux et de développer l’industrie manufacturière.
Atteindre 500 000 emplois formels dans le tourisme
Le gouvernement, dans le cadre de l’agenda 2050, va également s’investir afin de faire du tourisme un catalyseur. L’ambition sera d’atteindre 500 000 emplois formels, contre 44 000 en 2023. «Ce secteur a été un moteur de l’économie sénégalaise, mais ce moteur s’est affaibli. L’ambition d’aujourd’hui, c’est de le relancer en diversifiant l’offre sénégalaise au-delà du balnéaire et du tourisme d’affaires pour valoriser nos trésors dans l’écotourisme, le tourisme culturel, le tourisme prodigieux ou l’évènementiel, comme les prochains Jeux olympiques de la jeunesse (Joj), et d’y créer près d’un demi-million d’emplois d’ici à 2050», explique Victor Ndiaye. Pour le directeur du Bureau de prospective économique, Alé Nar Diop, développer le tourisme, c’est également développer tous les autres secteurs, car le tourisme, assure-t-il, consomme tout ce que produisent les autres secteurs.
« Ce système va conduire à un Sénégal souverain »
Le discours introductif de la présentation de l’agenda 2050 a été prononcé par le chef du gouvernement. Pour Ousmane Sonko, à l’horizon 2050, il s’agira pour le Sénégal de développer quelques solides moteurs de croissance sur lesquels il s’appuiera pour créer une économie compétitive, gage d’un Sénégal souverain, juste et prospère. « Nous vous présentons l’arbre qui symbolise et synthétise notre vision 2050. Voici le baobab, emblème national. Quatre parties principales composent cet arbre majestueux, familier dans nos paysages. Des racines, un tronc, des branches et des fruits. Voilà nos quatre axes stratégiques de l’agenda national de transformation du Sénégal », déclare-t-il dans son discours introductif. D’après lui, cette nouvelle stratégie de développement pour les 25 prochaines années se fera grâce au scénario de rupture. « Ce système que nous proposons devrait donc conduire, à terme, à récolter les fruits de notre baobab, un Sénégal souverain, juste et prospère, et une nouvelle trajectoire de développement des moteurs de croissance en plein temps. Et, enfin, avec une nouvelle carte économique et de nouveaux corridors », exprime le Premier ministre. Ainsi, il invite les populations à s’approprier cet agenda, cette vision. « C’est le peuple qui doit porter ce projet. D’ailleurs, ce document n’est pas définitif. La démarche a été inclusive et elle le sera jusqu’au bout, puisque le président de la République nous a instruits, dès le départ, de le parfaire selon les remontées d’informations », fait-il savoir. Toutefois, le chef du gouvernement indique que la démarche participative ne veut pas dire la co-construction d’un programme