Après avoir adopté à une vitesse avec grand V la téléphonie mobile, l’Afrique est en train de poser des pas sûrs vers une révolution sans cash, où les billets de banque seront de moins en moins utilisés dans les transactions. On est à l’ère de la monnaie électronique. Dans l’Uemoa par exemple, le volume des transactions en monnaie électronique a bondi sensiblement, passant de 260 millions de FCfa à 11 milliards de FCfa entre 2014 et 2024, selon le gouverneur de la Bceao.
Une performance qui est allée de pair avec l’inclusion financière, le nombre de comptes en monnaie électronique étant passé, sur la même période, de 18 millions à 248 millions. C’est dans cette dynamique que la Bceao a lancé, le 30 septembre dernier à Dakar, sa plateforme interopérable du système de paiement instantané (Pi-Spi) dont l’objectif est de permettre l’envoi et la réception instantanée de fonds entre différentes structures financières telles que les banques, les émetteurs de monnaie électronique, les établissements de paiements, les institutions de microfinance… Désormais, les ressortissants de l’Union peuvent effectuer des paiements sécurisés, tous les jours, de façon instantanée et gratuite.
Le Pi-Spi ouvre des perspectives vers une monnaie numérique de Banque centrale (Mnbc), ayant le même cours que la monnaie fiduciaire. Avec un franc Cfa électronique ou e-Cfa, la Bceao n’aura plus besoin de se faire confectionner des billets de banque en France à coups de milliards. S’il est avéré que la masse de monnaie fiduciaire en circulation sera réduite sensiblement, il est intéressant de réfléchir sur les conséquences de cette révolution en perspective qui va redessiner le marché financier. Que deviendront les fintechs ? Comment les banques commerciales se comporteront-elles face à cette donne ? Une monnaie numérique de la Bceao menacerait en premier le cœur de métier des banques commerciales. Les dépôts, la gestion des flux et les transferts ne seront plus leur apanage car, comme l’indique un rapport de la Bceao, tout agent économique pourra détenir de la monnaie électronique de banque directement émise par la Banque centrale, sans passer par les banques commerciales, sans intermédiaire.
Adieu donc les marges bénéficiaires générées par les dépôts, les délais, les transferts et autres prestations. Les banques commerciales sont donc condamnées à innover pour ne pas passer à trépas. Elles « doivent se réinventer, offrir de vrais services à valeur ajoutée et cesser de vivre sur la rente des frais de transfert et des comptes dormants. Sinon, l’e Cfa les balayera comme le vent emporte la poussière. Cette fois, il n’y aura pas de seconde chance. Les gagnants seront ceux qui auront compris que le futur de la finance ouest africaine ne se joue plus derrière les guichets, mais dans la fluidité, la transparence et la confiance numérique », invite vivement l’expert Seydou Bocoum.
Quant à l’avenir des fintechs, le pronostic de l’économiste Amath Ndiaye est moins sévère. Elles ne vont pas disparaître certes, mais elles devront procéder à des innovations dans d’autres domaines tels que l’inclusion financière, des zones rurales, la finance verte, l’utilisation des données, etc. L’autre défi et pas des moindres sera de rendre le paiement instantané accessible au monde rural, grâce au paiement hors ligne, une généralisation de l’équipement en smartphones, un accès satisfaisant à l’électricité et à Internet. Face à l’analphabétisme, un système alliant simplicité et sécurité peut permettre une adhésion massive. En matière d’inclusion financière dans l’espace Uemoa (47 % en 2016 à 72,3 % en 2023), la marge de progression est importante : 26 millions d’adultes non bancarisés disposent d’un téléphone mobile, selon la Banque mondiale.
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