La critique a posteriori est ce qu’il y a de plus facile dans l’analyse d’une situation. En amont, peu de gens s’aventurent à une lecture des enjeux. Et, à l’heure de la faire, quand la réalité est déjà connue, le discours souffre de subjectivité, brouillé par un biais un tantinet partisan.
L’issue de l’élection à la présidence de la Bad en est un bel exemple. Presque personne ne s’y est intéressé jusqu’au moment où les résultats sont tombés et se sont soldés par la défaite du compatriote Amadou Hott. Tout le monde y est allé de son commentaire et de son interprétation. Du plus pertinent au plus saugrenu, on en a eu pour nos yeux et pour nos oreilles.
Le charme des réseaux sociaux, mais aussi une de leurs faiblesses : chacun a voix au chapitre. Un déchaînement de réactions qui reflète certes une certaine déception, mais qui nous dévoile, encore une fois, la fragilisation du sentiment national.
Lequel, depuis quelques années, est fonction de l’appartenance à telle ou telle sensibilité politique. Évidemment, il y a des exceptions. Mais même ceux-là qui essaient d’être les plus objectifs possibles, on leur trouve forcément un camp, s’ils ne sont pas affublés du terme péjoratif de « neutriotes ». Les tares du manichéisme.
« Qu’est-ce que l’élection d’Amadou Hott à la Bad nous aurait rapporté ? », se sont benoîtement demandé certains. Eh bien, plus d’aura internationale, plus de lumière sur le Sénégal, la preuve que notre diplomatie demeure ce qu’elle fut par le passé : celle qui nous valut Amadou Mahtar Mbow à l’Unesco, Cheikh Fall à Air Afrique, Jacques Diouf à la Fao, Lamine Diack à l’Iaaf, Babacar Ndiaye à la Bad. La satisfaction de voir un des nôtres, compétent, être consacré et partager son bonheur.
Malheureusement, c’est à croire que nous ne sommes même plus capables d’empathie, de nous réjouir de la réussite de l’autre. Il fallait voir, jeudi, à l’hôtel Sofitel Ivoire, comment le camp mauritanien exultait, et le comparer au désappointement qui perlait sur les visages des membres des autres délégations qui avaient un candidat, pour comprendre la fierté que cela procure. Percevoir la défaite d’Amadou Hott sous le seul angle d’une diplomatie défaillante, c’est faire une analyse superficielle d’une réalité plus complexe que cela. Si l’on s’y penche de plus près, le score final du candidat sénégalais est loin d’être ridicule.
Il est le résultat de reports de voix et de positionnements stratégiques inhérents à ce genre d’élection. Plus les tours de scrutin s’enchaînent, plus certains actionnaires se réajustent en fonction des tendances lourdes, en donnant leurs voix au candidat le mieux placé, surtout s’il s’avère que ce dernier était leur deuxième choix.
Or, il se trouve que Sidi Ould Tah, au premier comme au deuxième tour, avait la faveur des membres régionaux, c’est-à-dire des pays africains. Les autres de ce groupe, qui avaient voté pour Hott et pour la Sud-Africaine, décidèrent donc logiquement de venir en renfort au Mauritanien. Car, en réalité, dans cette élection – et cela s’est vu dès le premier tour -, il se jouait une lutte d’influence entre régionaux et non-régionaux. Ces derniers, en tête desquels les États-Unis, affichaient clairement leur préférence pour le Zambien.
Dans les coursives de la Bad, on voyait d’un mauvais œil cette volonté de l’administration Trump d’imposer un candidat au moment où elle veut se désengager de la Banque. Aujourd’hui que son favori n’est pas passé, elle pourrait acter sa décision. Et c’est là que le choix de Sidi Ould Tah est, pour beaucoup, une bonne nouvelle pour la Bad. En tant qu’ancien président de la Badea, il est perçu comme celui qui est le mieux à même de mobiliser les fonds arabes pour renflouer la Banque panafricaine, qui en a aujourd’hui grandement besoin.
Cet aspect géostratégique a grandement pesé dans la balance. Toujours est-il que, s’il y a une seule leçon à tirer de ce scrutin, c’est celle-ci : le forcing des pays non régionaux doit remobiliser les pays africains de la Bad et les pousser à revoir leur rapport avec cette institution qui est d’abord la leur.
En effet, vingt-sept pays ne peuvent pas avoir plus d’influence, voire autant, que cinquante-quatre pays. En dehors du Nigeria, de l’Égypte, de l’Algérie, du Maroc, de l’Afrique du Sud, tous les autres pays africains, en termes d’actionnariat, ne valent quasiment rien à la Bad.
Or, c’est le poids de l’actionnariat qui confère plus de voix lors du vote. Augmenter leur capital dans la Banque serait le meilleur paravent contre l’influence des pays non africains qui veulent imposer leur pion. elhadjibrahima.thiam@lesoleil.sn