À quelques jours de la Korité, le marché est bien approvisionné en oignon et pomme de terre, entraînant une baisse des prix. Toutefois, cette stabilité contraste avec la fluctuation des prix de certains légumes frais. Les vendeurs de légumes dénoncent des marges compromises par la spéculation.
Près d’une tente soutenue par des piliers métalliques, faisant office d’échoppe, deux charretiers déchargent des sacs d’oignon de 25 kilogrammes sous le regard attentif de Cheikh Thiaw. Adossé à une pile de sacs, le vendeur donne des instructions aux portefaix, ses paroles étouffées par l’appel du muezzin, tandis qu’un léger vent fait voltiger les peaux sèches d’oignon tout autour. « Je n’en suis qu’à ma troisième livraison, et deux autres cargaisons sont attendues dans la journée. Les charretiers semblent pressés, je dois les aider à décharger chaque sac à l’endroit indiqué afin d’éviter que ma tente ne se transforme en capharnaüm », explique le vendeur, la mine désinvolte. Ce 24 mars, à moins d’une semaine de la fête de l’Aïd el-Fitr (Korité), le dépôt d’oignon à ciel ouvert du marché de Gueule-Tapée, situé près du rond-point « Case bi », ne désemplit pas. Des monticules de sacs de jute, gonflés comme des outres, dessinent un paysage éphémère où s’activent, les échines courbées, des silhouettes. D’aucuns, d’un geste rapide trient et réparent les sacs éventrés, tandis que d’autres, plus robustes, pèsent la marchandise sur des balances rouillées. « Comme vous le voyez, le marché est bien approvisionné en oignon pour la fête de la Korité. Il est impossible qu’il y ait une rupture de stock ou une hausse des prix », affirme sans hésitation Cheikh Thiaw. Selon ce vendeur, l’abondance de la récolte de cette année garantit la stabilité des prix ; un ouf de soulagement pour les ménages à l’approche de cette fête importante. « C’était un peu compliqué avec le gel des importations et la fluctuation des prix, mais maintenant les prix sont stables. Ils varient entre 6.000 et 7.000 FCfa selon la qualité du produit », précise-t-il, ajoutant qu’ils pourraient encore baisser dans les prochains jours. « Les producteurs seront contraints de céder leurs récoltes d’oignon à des prix inférieurs au seuil habituels. Cette situation illustre bien l’adage économique selon lequel l’abondance d’un produit entraîne une diminution de son prix », explique Cheikh Thiaw. Un groupe de vendeurs a investi une tente installée de manière sommaire, entourée d’une ribambelle de sacs posés en vrac. Parmi eux, Ndiaga Diop, l’adjoint du délégué du marché. Au-dessus de sa tête trônent fièrement des sacs de pomme de terre enveloppés sous une bâche. Pour ce grossiste, inutile de s’inquiéter de l’approvisionnement en pomme de terre pour la Korité. « Nous sommes largement au-delà des besoins réels des ménages », assure-t-il, en balayant d’un revers de main toute crainte de pénurie ou de fluctuation des prix. Son regard, comme celui des autres commerçants, est déjà tourné vers la Tabaski. « Il suffit de regarder autour de nous, le dépôt est saturé, il n’y a plus un centimètre carré de libre pour entreposer davantage de marchandises », souligne-t-il. Le marché de la pomme de terre suit une dynamique similaire à celui de l’oignon : une offre abondante et une baisse des prix. « Le sac de pommes de terre, qui auparavant coûtait 8.000 voire 9.500 FCfa, est désormais accessible à un prix maximal de 5.500 FCfa », précise-t-il. Si les prix de l’oignon et de la pomme de terre sont en baisse et semblent accessibles à toutes les bourses, il en est autrement pour les vendeurs de légumes qui, souvent, assistent impuissants à des variations incessantes.
La volaille accessible
Devant son étal clairsemé, installé à même le sol, Fallou Dièye, un vendeur à la sauvette, arbore une mine sombre. Il se dit pris de court par la fluctuation des prix. « Nous sommes souvent pris en étau entre les producteurs, qui fixent leurs prix, et les consommateurs, qui recherchent les prix les plus bas », confie-t-il. Il estime difficile de trouver un équilibre permettant de couvrir les coûts et de réaliser un bénéfice raisonnable. Le prix des concombres a grimpé en flèche, atteignant 800 FCfa le kilogramme contre 500 FCfa il y a quelques jours. « C’est pareil pour les tomates et les autres légumes. En vérité, il n’y a pas de prix fixe », déplore-t-il. Plus loin, l’odeur âcre des poulets emplit l’air des allées sinueuses du marché. Dans des cages en fil de fer rouillé, les volailles s’entassent dans un brouhaha constant. Ibrahima, les manches retroussées, manipule avec assurance des poulets fermiers dodus.
« Les éleveurs ont anticipé la demande, et il y en aura pour tout le monde. Les poulets coûtent 3.500 FCFA l’unité », affirme-t-il, avec un sourire rassurant. Malgré l’abondance des produits de base, certains vendeurs restent confrontés à l’instabilité des prix des légumes. Le marché de Gueule-Tapée, saturé et animé, reflète les contrastes d’une économie locale oscillant entre surplus et incertitudes.
Pathé NIANG