L’élection du futur président de la Banque africaine de développement (Bad) est prévue après demain 29 mai lors des Assemblées annuelles de l’institution qui se tiennent dans la capitale ivoirienne. Quels sont les enjeux de ce scrutin ? Comment se déroule l’élection ? Décryptage.
« Un scrutin indécis ! » Depuis Abidjan où il doit recevoir un prix, Magatte Wade, ancien directeur de la communication de la Banque africaine de développement (Bad), débriefe pour Le Soleil la campagne pour l’élection du futur président de l’institution financière panafricaine. En dépit de la bataille médiatique donnant tel ou tel autre candidat favori, dit-il, ce scrutin n’a pas encore livré ses secrets. Selon M. Wade, rien n’est encore joué pour l’élection du nouveau président de cette institution. Cinq candidats sont en lice : le Sénégalais Amadou Hott, le Mauritanien Sidi Ould Tah, le Zambien Samuel Maimbo, le Tchadien Abbas Mahamat Tolli et la Sud-africaine Bajabulie Swazi Tshabalala. Le scrutin est fixé au 29 mai lors des Assemblées annuelles de la Bad (26-30 mai à Abidjan).
La Cedeao en rang dispersé
De l’avis de M. Wade, si les candidats mauritanien (Tah) et zambien (Muaimbo) bénéficient d’une meilleure exposition médiatique à la différence d’un Amadou Hott qui a opté pour une campagne médiatique « timorée », rien n’est joué d’avance. De toute façon, l’élection du président de la Bad ne se joue pas dans les médias ou sur les réseaux sociaux. « Tout se jouera à huis clos. C’est une affaire de lobbying et de diplomatie », constate Magatte Wade, se disant confiant sur les capacités de la diplomatie sénégalaise qui a l’habitude de travailler « sans tambours ni trompettes ». Ce qui est certain, dit M. Wade, c’est qu’Amadou Hott jouit de beaucoup de respect pour son parcours, sa compétence et son expertise. « Dans les couloirs de l’hôtel Ivoire où je loge, il est très respecté », témoigne Magatte Wade. Pour lui, cette élection du président de la Bad constitue une belle opportunité pour le leadership panafricain incarné par le duo Diomaye et Sonko.
Cependant, il regrette le soutien affiché par le président ivoirien Alassane Ouattara au candidat mauritanien. « Chacun a le droit de choisir son camp, mais en tant que pays hôte de l’élection, c’est une erreur, sur le plan diplomatique, d’afficher son soutien à un candidat », analyse Magatte. Le fait d’abriter le siège de la Bad et d’accueillir cette élection donne une « prépondérance diplomatique » à la Côte d’Ivoire. En effet, c’est le président du comité des gouverneurs (le représentant du pays hôte des assemblées annuelles) qui fixe et préside les réunions… bref organise le scrutin. Autant de raisons qui font que de l’avis de M. Wade, le président Ouattara aurait dû ne pas afficher son soutien à un candidat. Magaye Gaye, ancien cadre à la Banque ouest-africaine de développement (Boad) regrette également la fragmentation des voix de la Cedeao.
« A mon sens, le choix de trois pays de la Cedeao – Côte d’Ivoire, Bénin et Togo – de soutenir le candidat mauritanien Sidi Ould Tah, au détriment de celui du Sénégal, pays membre fondateur et historiquement engagé dans cette institution, constitue une erreur », analyse-t-il. Une erreur diplomatique d’abord au moment où la Cedeao est fragilisée par le départ des trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel (Aes) ; une erreur stratégique ensuite car la nomination d’un candidat issu d’un pays en rupture pourrait bousculer les équilibres internes de l’institution, ajoute l’économiste sénégalais. Les défis du futur président Tout compte fait, rien n’est figé puisqu’un pays peut voter pour un candidat au premier tour et un autre en cas de second ou troisième tour. Donc chaque candidat pourrait avoir besoin du report des voix de l’autre en fonction de l’évolution de la situation. Le prochain président de la Bad devra faire face à plusieurs défis.
Dans un contexte marqué par les tensions géopolitiques, la guerre commerciale et la crise du multilatéralisme, il devrait trouver des sources pour financer le développement de l’Afrique. D’après Magatte Wade, l’une des priorités sera de reconstituer les ressources du Fonds africain de développement (Fad), le guichet concessionnel de la Bad, même s’il estime que la Bad devrait trouver les moyens de s’affranchir de cet outil qui donne trop d’influence aux actionnaires non régionaux. Un enjeu important au moment où les Etats-Unis, deuxième plus grand actionnaire de la Bad, ont suspendu leur contribution au Fad. Un manque à gagner de 500 millions de dollars. La souveraineté alimentaire, l’emploi des jeunes ou encore la réforme de l’institution figurent parmi les priorités. « Le prochain président de la Bad devrait avoir suffisamment d’entregent et d’autorité, mais aussi de réseau relationnel dense pour pouvoir convaincre les grands actionnaires et les grands donateurs internationaux», explique Magaye Gaye.
Par Seydou KA