Ancien fleuron de l’industrie agro-alimentaire sénégalaise, la Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal (Sonacos) végète, depuis quelques années, dans une situation financière difficile. Ballottée entre privatisation et renationalisation dont la dernière date de 2016, la société est également impactée par le profil des différentes campagnes de commercialisation arachidière et soumise aux aléas de l’hivernage. Tous ces défis, le nouveau Directeur général, Elhadji Ndane Diagne, qui vient de connaître son baptême du feu avec la dernière campagne de commercialisation qui a pris officiellement fin le 7 avril passé, semble en avoir la claire conscience. Dans cet entretien, il fait le bilan et dévoile la stratégie mise en place pour replacer la Sonacos sur l’échiquier de l’industrie sénégalaise.
Et combien avez-vous dépensé pour cette campagne de collecte ?
Aujourd’hui, on est à plus de 52 milliards de Fcfa qui sont allés directement à l’achat de graines. Cela n’a rien à voir encore avec ce que nous avons investi dans la transformation, dans les équipes, dans le personnel. Il faut dire, en passant, que nous avons fait plus de 2300 recrutements. C’est assez considérable. Pour la plupart, ce sont des ouvriers car c’est eux qui travaillent dans les usines. Il ne faut pas oublier que la Sonacos fait une activité agro-industrielle, donc nous avons besoin de beaucoup d’ouvriers qui interviennent dans la réception et dans la transformation.
Vous l’avez sous-entendu, la fermeture du marché de l’exportation a fait les affaires de la Sonacos, mais on ne peut pas en dire autant pour les producteurs. C’est une réalité qui est là, non ?
A la base, si on parle d’arranger ou pas, c’est lié à l’argent, on parle de revenus. Encore une fois, l’un des objectifs principaux de la Sonacos, c’est le bien-être des paysans. Il y a une méthodologie définie par le Cnia qui est l’organe désigné par l’Etat pour déterminer le prix d’achat au producteur de la graine d’arachide. Le Cnia a fait le travail et sur la base de tous les paramètres à considérer, il a fixé le prix du kilogramme d’arachide à 216 Fcfa. A la suite de cela, nous avons tenu une réunion. Et la Sonacos, les autres huiliers et les opérateurs ont clairement dit que ce prix était trop bas pour le producteur. Nous avons proposé au moins le prix de l’année précédente qui était de 280 Fcfa. Pour ce faire, il fallait donc combler le différentiel entre 280 Fcfa et 216 Fcfa. Nous nous en sommes ouverts au ministère pour voir ce que l’Etat pouvait faire dans ce sens. C’est ainsi que les autorités ont décidé de porter le prix au producteur à 305 Fcfa, soit 25 Fcfa de plus par rapport à l’année précédente. Cela signifie qu’aujourd’hui, le producteur est en position de gain dans cette opération. C’est la première fois qu’on atteint un tel prix d’achat du kilogramme d’arachide au producteur. D’ailleurs, si la Sonacos a battu le record des montants payés dans l’achat des graines, c’est lié à ce prix élevé. Maintenant, pour les exportations, il faut préciser que depuis un bon moment, elles sont ouvertes et pourtant on n’a pas vu de Chinois venir acheter de l’arachide. Les exportateurs eux-mêmes ne parviennent pas à vendre parce qu’aujourd’hui, les cours mondiaux ne permettent ni aux chinois ni aux exportateurs d’acheter l’arachide disponible.
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Qu’est-ce que vous avez à répondre à ceux qui disent, qu’en réalité, cette campagne de commercialisation de l’arachide est un fiasco ?
Fiasco à quel niveau? Aujourd’hui, par la grâce de Dieu, nous avons eu une belle récolte. C’est vrai qu’on a eu quelques difficultés dans la production au niveau du centre, dans la zone de Nioro et Kaffrine, mais c’est un problème de rendement. La Sonacos a acheté tout le volume qui était disponible, aussi bien au nord, au centre et au sud. C’est vrai qu’il reste un peu d’arachide au sud-est. Bien que la campagne ait été clôturée depuis le 7 avril, nous sommes en train de recevoir encore quelques camions. Suivant la promesse du Premier ministre faite aux producteurs, tous ceux qui voudront vendre leur arachide, la Sonacos est prête à les acheter.
Même si le marché est libre, la Sonacos continue de garantir aux producteurs ce même prix ; cela fait partie de notre responsabilité en tant que société d’Etat. C’est pour dire qu’il n’y a eu fiasco sur aucun aspect de la campagne. Au contraire, sur tous les aspects, c’est une réussite pour nous, pour l’Etat et pour les producteurs. Tous ceux qui parlent de fiasco ne peuvent pas vous donner quelque chose de concret tendant à confirmer leur postulat.
Quels sont les rapports entre la Sonacos et les autres huiliers ?
Nous travaillons avec eux. Dès mon arrivée et les premiers contacts que j’ai eus avec les acteurs de la filière, j’avais déclaré haut et fort que la Sonacos n’avait pas de concurrent. Nous ne cherchons pas à faire la concurrence à qui que ce soit, pour la bonne et simple raison que la Sonacos est un bien public qui appartient à la nation sénégalaise. La Sonacos est un moteur de développement agricole, économique et social. Donc nous ne pouvons pas essayer de chercher de la concurrence. Nous sommes là pour vulgariser le secteur et la filière. Aujourd’hui, nous avons de très bonnes relations avec Copeol, SS2I, le Rasiat et même avec les autres qui ne sont pas des huiliers mais qui importent de l’huile et louent nos tanks pour garder leur produit. Donc si j’étais en concurrence réelle avec eux, je ne leur aurais pas donné ce coup de main. Maintenant, pour ce qui est des autres huiliers, malheureusement Copeol n’a pas collecté et était sur le point aussi de faire un chômage technique. Mais par la disponibilité et l’ouverture d’esprit de son directeur, Cheikh Fall, nous avons conclu un contrat où ils vont triturer un volume de stock que nous allons leur donner pour qu’il continue à fonctionner. Nous avons, dès notre arrivée aussi, démarré la trituration avec SS2I qui est aussi un autre huilier à qui nous avons donné un volume à triturer. Ils ont même déjà fini. Dans les semaines à venir, nous allons rediscuter d’autres contrats. L’essentiel pour nous c’est la vulgarisation de l’huilerie et de l’industrie relative à la filière arachidière pour Sénégal.
La Sonacos est souvent impactée par le profil des différentes campagnes de commercialisation. Peut-elle toujours reposer son avenir sur les aléas de l’hivernage et des campagnes arachidières ?
N’est-elle pas, sur ce point, une société fragile ? La vie humaine elle-même est dépendante des aléas climatiques parce que ce sont les industries alimentaires aujourd’hui qui nourrissent la vie. Alors, la Sonacos est spécialisée dans la chaîne de valeur de l’industrie huilière. Nous produisons de l’huile à partir de l’arachide. S’il y a des difficultés sur cette partie, nous avons toujours la capacité d’importer de l’huile et de la servir aux Sénégalais. Notre objectif, c’est de servir les Sénégalais. Nous pouvions nous limiter, ce que la Sonacos a fait ces dernières années et qui n’a pas assez bien marché, à importer de l’huile et de la vendre sur le marché. Sauf que, en le faisant, cela ne nous permet pas de créer autant de valeur en interne ou bien de créer des emplois, donc de soutenir notre économie. La Sonacos est implantée dans huit régions.
Il y a les usines de Dakar, de Kaolack, de Ziguinchor, de Diourbel et de Louga ainsi que les centres de Koungheul dans la région de Kaffrine, de Sinthiou Malem dans la région de Tamba et de Dioulacolon dans la région de Kolda. Et récemment, nous avons signé un protocole avec l’Apix pour ouvrir aussi un centre à Madina Yoro Foula. Nous avons donc une présence diversifiée afin de pouvoir être près des Sénégalais, apporter de la valeur ajoutée, créer des emplois, participer au développement économique et participer au développement social là où nous sommes implantés.
L’idée de la remise sur pied de la Sonagraine, une filiale de la Sonacos, a été agitée ces dernières années. Est-elle toujours au goût du jour ?
Nous avons démontré avec l’engagement des collaborateurs que nous n’avons pas besoin de créer une entité pour la gestion des graines. La Sonacos a su se mobiliser pour acheter et réceptionner des graines et nous sommes en train d’en transformer 155.000 tonnes. Si on crée une autre société, quel sera le but ? Je ne comprends pas. Pour moi, 2024-2025 est une année de référence où on a pu démontrer ce qu’il est possible de faire avec la Sonacos.
Entretien réalisé par Elhadji Ibrahima THIAM