Ancien fleuron de l’industrie agro-alimentaire sénégalaise, la Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal (Sonacos) végète, depuis quelques années, dans une situation financière difficile. Ballottée entre privatisation et renationalisation dont la dernière date de 2016, la société est également impactée par le profil des différentes campagnes de commercialisation arachidière et soumise aux aléas de l’hivernage. Voici ce qu’en dit le nouveau Directeur général, Elhadji Ndane Diagne.
Vous êtes à la tête d’une société qui, depuis toujours, connaît des hauts mais surtout beaucoup de bas ces dernières années. Quels sont les actes que vous avez posés pour la redresser un tant soit peu?
Par la grâce de Dieu, en dix mois aujourd’hui, nous pouvons fièrement dire que nous avons redressé les choses. Parce que la société est restée pendant deux ans sans absolument pas d’activités, à proprement parler. Durant cette période, la Sonacos a eu des collectes de 22.000 et 12.000 tonnes. Toutes les usines étaient complètement à l’arrêt. Nous en avons cinq : à Dakar, à Kaolack, à Ziguinchor, à Diourbel et à Louga. Pour démarrer, nous avons procédé à la réouverture de toutes les unités industrielles. Nous avons mobilisé le personnel, insufflé une nouvelle dynamique. Après cela, nous avons attaqué automatiquement la campagne agricole en déroulant une stratégie centrée autour du producteur et des acteurs de la filière. Au-delà du producteur, nous avons des relais parce que la Sonacos ne travaille pas directement avec les producteurs. Ce sont les opérateurs qui vont au contact des producteurs, qui gèrent la logistique et les interactions avec eux. Donc, ayant identifié les acteurs de la chaîne de valeur, nous avons essayé de répertorier historiquement qui étaient les grands partenaires qui travaillaient avec la Sonacos. Pour ce faire, il fallait se déplacer, aller sur le terrain, à travers tout le Sénégal pour rencontrer ces partenaires. Nous les avons retrouvés dans leurs lieux de travail, dans leurs domiciles, dans leurs champs. Et nous avons discuté avec eux de la stratégie que nous avons mise en place. En retour, nous avons recueilli leurs avis. Ils ont adhéré à cette stratégie et nous l’avons déroulée.
Lors de ces échanges avec les acteurs, quels sont les problèmes qu’ils ont soulevés ?
Les plus grosses complaintes portaient sur les délais d’attente des camions et les retards de paiement. Il y a d’autres problèmes tels que le criblage, les abattements. Nous nous sommes engagés principalement sur les déchargements et les paiements. Et c’est sur ces deux points principalement que nous avons axé notre stratégie. Nous leur avons proposé un déchargement sur maximum 48h et un paiement sur maximum 48h, ce qu’on appelle la règle des 2-48. Donc tous ceux qui viennent et déchargent, nous les payons dans les 48 heures. C’est comme ça que nous avons pu passer de 12.000 tonnes à 155.000 tonnes aujourd’hui.
Les 155.000 tonnes, était-ce l’objectif fixé ou bien c’est vous-même qui avez décidé de vous en arrêter là ?
Une campagne est très imprévisible. C’est un aspect qu’on doit toujours aborder avec beaucoup d’humilité parce qu’il n’y a aucune campagne similaire à une autre. Il y a toujours quelque chose de nouveau et d’imprédictible. C’est pourquoi, dès que nous avons démarré, nous avons mis en place notre stratégie. Et, par la grâce de Dieu, nous avons eu des retours favorables. Il faut aussi saluer les dispositions que le gouvernement a prises à travers le ministère de l’Agriculture, à savoir, la suspension temporaire des exportations d’arachide. Cela devait aller aussi avec une préparation opérationnelle pour éviter que les producteurs en souffrent. Grâce à cette stratégie et ces dispositions, nous sommes parvenus à collecter 155.000 tonnes. L’objectif que nous nous étions fixé initialement était de 300.000 tonnes. Passer de 12.000 tonnes à 300.000 tonnes d’une année à l’autre, certains peuvent penser que c’est trop ambitieux. Mais quand même, il fallait fixer la barre assez haute et viser assez haut. Mes collaborateurs ont été très vaillants et je les remercie au passage. Ils ont travaillé dur et ils ont atteint 155.000 tonnes.
Vous disposez d’assez de graines, c’est bien. Mais est-ce que vous avez l’outil industriel performant pour transformer tout cela ?
Nous avons 155.000 tonnes et nous n’en avons pas encore fini. Peut-être que nous irons à 160 000 tonnes. C’est vrai, c’est une belle quantité. Mais aujourd’hui, dès que nous avons remis en état l’infrastructure industrielle, nous avons eu de très belles surprises. Je vous donne un exemple. A Ziguinchor, qui a été la première grande industrie à part l’usine de Dakar, nous avons une capacité de raffinage de 350 tonnes par jour. Lorsque nous avons remis en état Ziguinchor, nous tablions sur le raffinage de 120 tonnes par jour, finalement nous avons pu aller jusqu’à 250 tonnes par jour. A l’usine de Kaolack, après la remise en état, rien qu’avec les deux presses, nous étions à 320 tonnes par jour. Cela veut dire que si nous mettons les quatre presses en marche, nous serons à 700 tonnes par jour. Donc 700 tonnes par jour à Kaolack plus les 250 tonnes qu’on à Ziguinchor, ça fait 950 tonnes. Une année industrielle, c’est sur 300 jours. Si on calcule 300 jours x 900 tonnes par jour, ça fait 270.000 tonnes. Cela veut dire qu’aujourd’hui, nous avons une capacité de triturer 270.000 tonnes. Pour autant, nous n’en sommes pas satisfaits. Parce qu’il nous faut un renouvellement de notre outil industriel. C’est primordial, c’est essentiel pour nous car nous devons augmenter nos performances, notre efficacité et notre efficience industrielle. Nous avons seulement réparé les machines mais il nous faut un renouvellement complet de l’infrastructure industrielle.
Pourtant, sous l’ancien régime, il y avait eu un plan d’urgence d’investissement pour le renouvellement de l’outil industriel de la Sonacos. Finalement cela n’aurait rien donné ?
Rien n’a été fait dans ce sens. Nous sommes toujours avec les très anciennes machines et nous nous débrouillons avec et avec la bravoure de nos collaborateurs qui sont très motivés, très engagés. Aujourd’hui, nous sommes capables de faire tourner les machines en attendant de mettre en place ce qu’il faut pour cela. Nous sommes en train de discuter avec la Bnde pour le financement d’une partie de ces infrastructures. Nous espérons aboutir à quelque chose dans les jours à venir. Pour dire que nous sommes en train de travailler carrément sur ce renouvellement.
A combien coûterait à l’Etat le renouvellement de l’outil industriel de la Sonacos ?
Tout d’abord, je voudrais préciser que cela ne coûtera rien à l’Etat même s’il est le seul actionnaire à 99,9 %. Mais la Sonacos est une société anonyme, indépendante sous contrôle de l’Etat. La première chose que nous nous sommes dit, c’est que nous ne demandons pas de subvention de l’Etat. La société fonctionne déjà sous perfusion de l’Etat avec des subventions. Nous pouvons fonctionner, faire des bénéfices sans demander de subvention à l’Etat. Maintenant, pour le programme d’investissement, la Sonacos veut le faire par elle-même. Elle va chercher des financements, acheter l’infrastructure, travailler et rembourser. Aujourd’hui, nous avons besoin d’un budget d’environ 21 milliards de Fcfa pour le renouvellement de l’infrastructure.
Mais est-ce que la Sonacos est aujourd’hui crédible et solvable pour mobiliser un tel montant sur le marché ou chez les partenaires ?
Nous y travaillons et nous espérons avoir le financement rapidement.
Vous avez une capacité de trituration de 200.000 tonnes par an. Pourquoi la Sonacos peine-t-elle à vendre son huile sur le marché ?
Déjà, l’huile de la Sonacos est très présente sur le marché. Depuis notre arrivée, il n’y a pas eu de rupture de stock de l’huile Niani ou de l’huile Ninal. Que ce soit dans les grandes surfaces ou dans les marchés, nous avons mis en place une stratégie commerciale qui nous permet d’être présents en continu. Même au niveau des régions, nous avons noué des partenariats avec des grossistes et des grands commerçants, mais aussi dans la banlieue et au niveau de Dakar. Nous avons des partenariats avec Auchan, Carrefour, Supeco, Edk….Nous avons aussi fait un très grand rebranding et une bonne communication pour montrer que nous sommes de retour. Maintenant, si je comprends bien votre question, vous faites référence au problème de l’accessibilité de nos produits à cause du prix. Pour y répondre, ce n’est pas compliqué. Aujourd’hui, on achète l’arachide à 335 FCfa le kilo. Si vous transformez un kilo d’arachide en huile, vous allez obtenir approximativement, par la presse, 25 centilitres. Ce qui veut dire qu’il faut 4 kilos pour avoir un litre. Pour acheter 4 kilos, il va falloir multiplier 335 FCfa par 4. Donc vous êtes presque à 1.400 FCfa ou 1.300 FCfa. Comment pensez-vous techniquement pouvoir vendre ça à moins de 1.000 FCfa? Oui, nous vendons aussi les tourteaux et les coques d’arachide. Mais ce qu’on en obtient nous permet juste de prendre en charge les coûts de transformation. Parce qu’il y a du personnel, de la matière, beaucoup de choses à faire pour arriver à ce processus. Il y a aussi le matériel d’emballage et ainsi de suite. Maintenant, il y a un choix à faire: privilégier la Sonacos, le producteur ou le consommateur. Nous sommes en train de chercher la balance, le juste équilibre. En cherchant le juste équilibre entre nos consommateurs et nos producteurs, c’est là où nous arriverons à un prix très correct. Parce que la Sonacos n’est pas une société qui essaie de s’enrichir sous le dos des Sénégalais. Mais chercher la meilleure huile à proposer aux Sénégalais. Si vous voulez de l’huile de qualité, il faut vraiment utiliser les produits de la Sonacos. Si vous voulez une huile vraiment économique, il faut prendre Niani, l’huile d’arachide. Elle résiste beaucoup plus à la chaleur, contient moins de cholestérol, contient beaucoup d’oligoéléments et beaucoup de bonnes choses pour le corps humain.
Vous avez parlé de l’huile, mais la Sonacos fait d’autres produits comme le vinaigre et l’eau de javel. Est-ce qu’on peut s’attendre à ce qu’elle monte en puissance dans la diversification de ses produits ?
La Sonacos montera en puissance bientôt. La vinaigrerie et la javelerie, implantées à l’intérieur de l’usine de Diourbel, ont été déjà réfectionnées. Mais on ne les a pas mises en marche pour la bonne et simple raison que, pour cette première année, nous avons voulu mettre le focus sur l’arachide et les produits de l’arachide. Nous irons aussi vers la réouverture de la savonnerie.
Sur le plan financier, dans quel état avez-vous trouvé la Sonacos quand vous avez pris fonction en juin 2024 ?
Quand nous avons pris fonction, la situation financière était au rouge écarlate, c’est-à-dire très difficile. Et nous avons dû demander l’appui institutionnel de l’État pour pouvoir nous repositionner. Nous sommes en train de gérer cette situation autant que nous pouvons avec l’aide des partenaires comme la Banque agricole, la Bnde et autres.
Entretien réalisé par Elhadji Ibrahima THIAM