Dans son village Dieylani, niché dans la commune de Dougué, arrondissement de Boynguél Bamba, département de Goudiry, région de Tambacounda, Fanta Souaré est devenue incontournable. Surnommée, affectueusement, la « Reine du fonio », non pas parce qu’elle porte une couronne, mais parce qu’elle a réussi à transformer cette culture traditionnelle en véritable moteur économique et social pour sa communauté.
TAMBACOUNDA – Taille avoisinant le 1,80 m, teint noir, Fanta est issue d’une famille paysanne, très attachée aux préceptes de l’islam. Très tôt, elle fréquente l’école coranique. Elle y apprend comment bien pratiquer sa religion. Mariée et mère de famille, elle choisit de travailler pour aider son mari. Elle entame son petit commerce. Elle vend de la friperie, des chaussures et des produits transformés. En 2018, elle participe à la foire de Dakar, où son intérêt pour la culture du fonio s’est éveillé.
« En 2018, je suis allée à la foire de Dakar. J’ai remarqué dans les autres stands que le fonio était très prisé par rapport à nos produits locaux comme la poudre du pain de singe, du mil et du « Sankal ». Le kilo de fonio s’échangeait à 3.000 FCfa et le sachet de 500 grammes (g) à 1.500 FCfa. Tandis que nous, nous vendions le mil à 250 FCfa le sachet de 500 g », dit-elle. Convaincue de la rentabilité de ce produit, elle décide de se lancer dans sa culture, Fanta Souaré fait le pari audacieux de remettre le fonio au goût du jour. Déterminée à redonner à cette céréale son prestige d’antan, beaucoup la croyait en être incapable. « Même mon mari n’y croyait pas. Il me disait que j’étais folle de m’engager dans cette culture aujourd’hui délaissée par beaucoup », se souvient-elle. En effet, elle avait pris toutes ces économies pour acheter la semence. Lors de sa première année, elle a semé 50 kilogrammes. Au bout de quelques mois de dur labeur, elle a récolté et a été très satisfaite du rendement. Femme très engagée pour le développement de sa localité, elle a saisi le préfet pour lui faire part de son intention de ressusciter la culture du fonio dans son Boundou natal. Avec l’aide de ce dernier, elle fait le tour du département dans le but de promouvoir la culture de cette céréale tout en rappelant ces bienfaits nutritionnels et médicinaux.
Fanta, une opératrice semencière
« Le fonio n’est pas seulement rentable, il a également des vertus médicales. C’est la seule céréale qu’on recommande à certains malades comme les diabétiques », souligne-t-elle. Pour elle, tout est utile dans cette céréale. Que ce soit la tige, les feuilles, les épis, etc. En plus, la culture du fonio ne nécessite pas beaucoup de moyens. Pratiquement tout se fait à la main et on n’a pas besoin d’engrais ni d’herbicides, précise-t-elle. À l’issue de cette tournée, un point focal est choisi dans chaque commune. Celui-ci est chargé de recenser les personnes désireuses de se lancer dans la pratique, mais aussi de faciliter l’accès à la semence.
Grâce à cette initiative, Fanta a pu rassembler plusieurs groupements de jeunes et femmes autour de la culture du fonio dans le département de Goudiry. Ces actions se sont poursuivies au niveau régional et même au-delà, jusqu’à Kédougou. Cet engagement a facilité son choix, en 2024, pour diriger la coopérative des producteurs de fonio dans la région de Tambacounda. Ce nouveau statut la pousse à être présente sur tout le territoire régional. Elle a au moins un champ dans chaque département. Au total, elle a pu emblaver, cette année, 50 hectares de terres. Une façon pour elle de montrer l’exemple aux autres producteurs.
Fanta a aussi appris à transformer les grains en semoule fine, en biscuits, gâteaux, pain et couscous nutritif, qu’elle commercialise.
Aujourd’hui, après avoir reçu son agrément en tant qu’opératrice semencière, elle fournit le produit un peu partout dans le Sénégal et même à l’extérieur. « Fanta a fini de s’imposer dans la production du fonio. Aujourd’hui, elle fournit la semence un peu partout dans la région. Cette année, elle a assuré l’essentiel de notre commande », souligne le chef d’antenne régional de la Société de développement agricole et industriel du Sénégal (Sodagri) à Tambacounda, Mahmouth Ndiaye. Sur le marché local, elle a convaincu des restaurateurs de la région d’intégrer le fonio à leurs menus. Les hôtels s’approvisionnent chez elle. Cette année, elle a livré son produit dans les régions de Kédougou et Louga. Elle participe à des foires internationales où elles exposent son fonio. « En 2020, j’étais en France pour une foire. À l’aéroport, j’ai eu un accident, on m’a transporté à l’hôpital. Pendant toute l’opération, je pensais à mes produits. J’ai même donné des cartes de visite aux médecins qui me soignaient. Avec mes béquilles, je suis allée à la foire. Ils sont tous passés me voir au stand », ironise-t-elle.
Grâce à ses actions, le fonio est aujourd’hui cultivé dans toute la région de Tambacounda. Les productions ont fortement augmenté durant ces sept dernières années. Pour cette campagne 2025, plus de 200 hectares de terres destinées à la culture ont été emblavées, estime la productrice.
Une véritable ambassadrice du fonio
La dame, âgée de 46 ans, n’est pas seulement productrice et fournisseur de fonio, elle en est aussi une ambassadrice. Sa voix résonne dans les marchés, les foires agricoles et jusque dans les radios communautaires, plaidant pour que le fonio retrouve sa place sur les tables et dans les politiques agricoles. « Je me suis lancée dans la culture du fonio grâce à Fanta. Avant, je ne cultivais que l’arachide et le maïs, mais elle m’a convaincu. Elle m’a beaucoup encouragée », explique Sélbé Diouf, productrice de fonio dans le Koulor. Même si elle reconnait les nombreux efforts de l’État dans la culture du fonio avec la subvention cette année du kilo à hauteur de 850 FCfa pour les distributeurs de semence, Fanta souhaite l’accompagnement en équipements (faucheuse) pour faciliter la culture de cette céréale. Elle est également dans la formation. Fanta fait le tour de la région pour former les jeunes et les femmes à cette culture résiliente face aux aléas climatiques. « J’ai formé beaucoup de jeunes, de femmes, des groupements. Je n’attends pas les projets pour apprendre à mes pairs les bonnes pratiques », indique-t-elle.
Aujourd’hui, ses produits traversent les frontières. Elle voyage pour raconter son histoire, partage ses recettes et défend la cause de l’agriculture durable. Mais chaque fois qu’elle revient chez elle, elle retrouve avec le même bonheur la poussière dorée de ses champs, le parfum des épis mûrs et le chant des femmes qui battent le grain.
Pour elle, le fonio n’est pas seulement une culture, c’est un héritage, une identité et un avenir. Son ambition est de faire de « cette céréale le numéro 1 au Sénégal ». Ainsi, elle invite les jeunes et les femmes à adhérer à cette culture afin d’aider le pays à très vite atteindre l’autosuffisance alimentaire.
Par Boubacar Agna CAMARA (Correspondant)