Une dizaine de jours après l’annonce du gel des importations de banane par l’Agence de régulation des marchés (Arm), les prix ne suivent toujours pas une tendance baissière chez les grossistes et les détaillants. Les consommateurs, eux, restent mitigés.
Les averses de la veille ont inondé, par endroits, la rue Sandiniéri, au marché du même nom situé juste après le rond-point Sandaga de Dakar. Les stands se succèdent dans un joli panache multicolore formé par les différents étals de fruits. Le marché Sandiniéri se spécialise dans la vente de fruits en gros comme en détail. Dans une des boutiques, de jeunes influenceurs ivoiriens font un shooting devant un étal de fruits exotiques artistiquement dressé. Juste à côté, Sadibou tient son commerce. Dans sa cantine, les murs disparaissent derrière des caisses dont certaines portent des inscriptions en arabe. À l’entrée, une table est remplie de bananes pour la vente au détail. Tout en rangeant son étal, Sadibou confie qu’il ne vend que ce fruit depuis qu’il est au Sénégal. « La banane est très prisée dans les marchés sénégalais, bien plus que n’importe quel autre fruit », précise-t-il.
Plus loin dans la même rue, un taxi-moto, garé devant une grande boutique, charge des caisses de pommes, de bananes et d’oranges. Des porteurs tournent autour avec l’indispensable pousse-pousse, dans l’espoir d’être engagés par les revendeurs en plein marchandage. Boubacar est un grossiste connu à Sandiniéri. « Boubacar », « Boubacar », l’interpellent ses clients de tous côtés, pendant qu’il tapote rapidement sur une grande machine à calculer, levant de temps en temps les yeux au ciel. Longue barbe, petit bonnet blanc sur la tête, il explique : « Les caisses de bananes sont livrées aux revendeurs des quartiers alentour comme Gueule Tapée, Fann, Médina, Fass… Je leur donne le kilogramme à 650 FCfa et ils le revendent à 1.000 FCfa ».
Pas encore de baisses du prix
Pourtant, après une baisse progressive du volume de bananes importées, l’Agence de régulation des marchés (Arm) a fini par annoncer, dans une circulaire, la suspension des importations de bananes, dans le but de promouvoir la production et la consommation locales et de soutenir les 8.000 producteurs nationaux. Le kilogramme, qui était vendu à 1.000 FCfa, devrait connaître une baisse de 20 % pour être cédé à 800 FCfa au détail et 450 FCfa en gros. Mais cette mesure, déjà en vigueur, tarde à être appliquée chez les revendeurs comme chez les grossistes. En effet, dans plusieurs rues de Dakar, le kilogramme de banane continue à se vendre à 1.000 FCfa. Une situation qui pourrait s’expliquer par la présence encore de bananes importées sur le marché, les stocks n’étant pas totalement épuisés. Or, si l’on se fie aux propos du directeur de l’Arm, Babacar Sembène, faire baisser le prix de la banane pour le consommateur est l’un des objectifs de cette mesure de gel des importations. Dans une interview récemment accordée au Soleil, il affirmait : « Si nous parvenons à passer de 1.000 à 800 FCfa le kilo de banane, c’est déjà une victoire pour le consommateur ».
Si les prix ne sont pas encore conformes à la mesure, la qualité, elle non plus, ne fait pas l’unanimité chez les clients. Résidente aux Maristes et fidèle consommatrice de banane, Penda Faye trouve que le produit local est bien plus délicieux que celui qui est importé, qu’elle compare à de la pâte à modeler. Cet avis n’est pas partagé par Issa, un Ivoirien rencontré au marché Sandiniéri, qui soutient que la banane importée est plus jolie, donc plus propre à la consommation. Cette affirmation, qui pourrait sembler relever d’une simple question esthétique, soulève en réalité une autre inquiétude : celle de la conservation. Souvent reconnaissable à sa taille et à ses points noirs sur la peau, la banane locale est plus difficile à conserver, selon les vendeurs. « La banane nous est livrée alors qu’elle est encore verte, mais elle mûrit vite. Il faut donc l’écouler rapidement, sinon on risque de subir des pertes. C’est pourquoi il fallait d’abord régler le problème de la conservation avant de geler l’importation de bananes… », explique l’un d’eux.
Problème de conservation
Boubacar est aussitôt interrompu par une cliente qui affirme vigoureusement que le problème est tout autre : « La conservation, les prix… c’est le problème des vendeurs. Mon problème à moi, c’est la diversité. Je suis restauratrice et la banane aloco est à la mode. Il me sera bientôt difficile de répondre à la demande de la clientèle si elle n’est plus importée. La banane plantain non plus n’est pas produite au Sénégal, elle vient de la Côte d’Ivoire. Il faut penser à cette diversité qu’ils vont ôter au marché ».
Dans son ambition d’atteindre l’autosuffisance en banane à l’horizon 2029, l’Arm annonce, dans sa circulaire, la mise en place d’un comité de suivi pour évaluer chaque semaine l’approvisionnement du marché, afin d’éviter toute rupture. C’est dans ce sens que Babacar Sembène, toujours dans l’entretien avec Le Soleil, avait annoncé la disponibilité d’une chambre froide de 700 tonnes au Marché d’intérêt national, où les détaillants pourraient aller s’approvisionner. Reste à savoir si le même suivi sera appliqué à la régulation des prix.
Ndèye Ndiémé TOURÉ (stagiaire)