À Saly, les voix des pêcheurs artisanaux se sont élevées contre l’injustice silencieuse qui vide leurs filets : pillage des ressources, pollution, gouvernance floue… L’heure est à l’alerte et aux réformes.
Maillon essentiel du secteur primaire, la pêche en Afrique de l’Ouest traverse une période critique, minée par de nombreux défis structurels et conjoncturels. Réunis à Saly, les 6 et 7 août derniers, à l’occasion de la deuxième et dernière journée du Dialogue politique sur la gouvernance des pêches en Afrique organisée conjointement par l’Université de Lancaster (Royaume-Uni) et les acteurs de la pêche du Sénégal et de la Gambie, les représentants de la Confédération africaine des Organisations professionnelles de la Pêche artisanale (Caopa) ont dressé un état des lieux préoccupant. Gaoussou Guèye, président de la Caopa, a pointé du doigt des cadres juridiques fragiles, inadaptés ou insuffisamment appliqués dans plusieurs pays de la sous-région. Ces lacunes ouvrent, selon lui, la voie à des investissements industriels peu encadrés, menaçant gravement les moyens de subsistance des communautés de pêche artisanale. « Les projets liés au pétrole, au gaz, aux usines de farine de poisson ou encore au développement touristique exercent une pression croissante sur nos zones de pêche », a-t-il déploré.
L’autre préoccupation majeure est l’accès limité aux financements pour les organisations locales de pêche. À cela s’ajoute une pollution environnementale galopante alimentée par les déchets plastiques et les effluents industriels qui détériorent les écosystèmes marins. Face à ce constat alarmant, M. Guèye a appelé à une intégration des communautés de pêcheurs dans les politiques publiques et à l’institutionnalisation de la gestion participative et de la cogestion à tous les niveaux. Il a insisté également sur la nécessité de veiller à une utilisation rigoureuse et transparente des fonds alloués au secteur. « Il faut s’assurer que les ressources financières parviennent effectivement aux bénéficiaires désignés », a martelé le président de la Caopa.
De plus, Gaoussou Guèye a exhorté les autorités à protéger les zones de pêche artisanale contre les projets industriels destructeurs et à soutenir activement la transition écologique du secteur. Du côté de la société civile, Kaly Bâ, représentant de l’Ong Greenpeace, a dénoncé un déficit chronique de transparence dans la gouvernance halieutique. « En optant pour une mauvaise gouvernance, l’État se tire une balle dans le pied et compromet durablement sa capacité à tirer profit de ses ressources halieutiques », a-t-il mis en garde. Ibrahima Mar, coordonnateur du Réseau national des Comités locaux de la Pêche artisanale (Clpa), a, pour sa part, soulevé une contradiction frappante. « Beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest dénoncent la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (Inn), mais cette lutte est financée par l’Union européenne, alors même que ce sont des navires européens et asiatiques qui pillent nos ressources. C’est une aberration ! Ils nous volent et se chargent eux-mêmes de la surveillance », a-t-il lancé avec indignation. M. Mar a ainsi appelé les États ouest-africains à clarifier leurs priorités et à affirmer leur souveraineté sur leurs ressources maritimes.
Face à ces critiques, Coumba Ndoffène Diouf, chef du Bureau des Aménagements à la Direction des Pêches maritimes (Dpm), a reconnu les défis existants tout en soulignant l’importance cruciale de la transparence comme pilier d’une gouvernance durable et efficace du secteur halieutique.
Babacar Gueye DIOP