La guerre commerciale lancée par Donald Trump a des implications majeures sur l’économie mondiale, mais son impact direct sur l’Afrique reste relativement limité, explique l’économiste sénégalais Magaye Gaye.
Comme promis, Donald Trump a lancé, samedi, la guerre commerciale en imposant des droits de douane punitifs contre le Canada, le Mexique (25 %) et la Chine (10 % supplémentaires). Ces pays n’ont pas tardé à répliquer. Pendant ce temps, l’Europe se prépare à subir les mêmes foudres. Cette guerre (mondiale) commerciale qui s’annonce risque d’avoir des répercussions majeures sur l’économie mondiale. Et l’Afrique dans tout cela ? Pour l’économiste sénégalais Magaye Gaye, l’impact direct sur le continent reste relativement limité. Il avance deux raisons principales. La première tient au fait que l’Afrique exporte peu de biens manufacturés vers les États-Unis. «
Contrairement à la Chine ou l’Europe, les exportations africaines vers les États-Unis concernent essentiellement des matières premières avec une part relativement faible de biens manufacturés. À l’exception notable de l’industrie automobile sud-africaine, dans l’ensemble, les exportations africaines sont dominées par des ressources naturelles comme le pétrole, les minéraux et le cacao. Une hausse des droits de douane sur les produits manufacturés ne viendrait pas pénaliser significativement les économies africaines », analyse M. Gaye. La deuxième raison est liée à l’Agoa (African growth and opportunity act).
Ce mécanisme offre un accès préférentiel aux produits africains sur le marché américain, exonérant de nombreux droits de douane. Cet accord protège, en partie, les exportations africaines. Cependant, souligne l’expert, l’Agoa arrive à expiration en septembre 2025. Et avec le protectionnisme prôné par Trump, son renouvellement est incertain. « S’il venait à ne pas être reconduit, les économies africaines pourraient être affectées », dit-il. Conséquences indirectes pour l’Afrique Si le continent est, pour le moment, épargné, la guerre commerciale de Trump peut avoir des effets collatéraux sur l’Afrique, avertit Magaye Gaye.
Un affaiblissement de la Chine, principal partenaire commercial du continent, pourrait avoir des répercussions directes sur les économies africaines. « La Chine est, aujourd’hui, le premier partenaire commercial de l’Afrique. Si les sanctions américaines freinent son économie, Pékin pourrait réduire ses investissements en Afrique et prêter moins aux États africains ; ce qui remettrait en cause plusieurs projets d’infrastructure », indique l’économiste. L’autre risque est lié à la volatilité monétaire. En effet, observe M. Gaye, si la guerre commerciale ralentit l’économie mondiale, mais que les États-Unis s’en sortent mieux, cela pourrait faire grimper la valeur du dollar. Or, de nombreux pays africains ont une dette libellée en dollars.
« Une hausse de cette devise augmenterait mécaniquement le poids de la dette, compliquant plus la situation financière de certains États déjà fragiles », assure-t-il. Les tensions sino-américaines pourraient aussi amener Washington à exercer une pression sur les gouvernements africains ayant des liens étroits avec Pékin. « Dans un contexte où les États-Unis cherchent à renforcer leur influence en Afrique, Trump pourrait recourir à des moyens politiques, économiques, voire militaires, pour contrer l’influence chinoise », soutient notre interlocuteur. Par ailleurs, bien que les mesures protectionnistes de Trump ciblent principalement les biens manufacturés, elles ont également un impact indirect sur les matières premières.
Par exemple, les droits de douane sur le pétrole, l’acier et d’autres ressources naturelles ont entraîné une volatilité des prix sur les marchés mondiaux. « Cette fluctuation pourrait affecter les économies africaines fortement dépendantes des exportations de matières premières ». Enfin, poursuit Magaye Gaye, cette guerre commerciale pourrait également avoir des implications plus larges, spécialement une remise en question des relations commerciales entre l’Afrique et ses partenaires traditionnels. Cette redéfinition des alliances, dit-il, risque de contraindre les pays africains à revoir leur positionnement face aux deux grandes puissances.
Le point positif dans tout cela, c’est que la montée du protectionnisme pourrait pousser l’Afrique à accélérer son intégration économique régionale à travers la Zlecaf (Zone de libre-échange continentale africaine). « Donc, pour moi, l’Afrique n’est pas en première ligne de cette guerre commerciale, mais elle pourrait en ressentir les effets secondaires, surtout à travers la Chine, la dette et la pression diplomatique. L’incertitude autour du renouvellement de l’Agoa et l’impact global sur l’économie mondiale seront des éléments clés à surveiller dans les mois à venir », conclut l’économiste.
Par Seydou KA