L’ouverture anticipée (stock de régulation) des importations d’oignons divise. Si la mesure a permis d’éviter une pénurie et donc d’assurer la stabilité des prix, elle menace l’écoulement du stock local.
Les allées du marché Tilène sont inhabituellement plus calmes, les étals moins fournis et les marchandages plus rares. « Si seulement le marché pouvait être comme ça tous les jours », soupire une dame en relevant le pan de son boubou pour éviter les eaux stagnantes. Cette baisse d’affluence s’explique par la célébration du Maouloud, qui a mobilisé commerçants et clients dans la ville sainte de Tivaouane.
Dans l’une des nombreuses allées du marché, grossistes et boutiquiers se sont regroupés en une sorte de rue commerçante où l’on peut trouver toutes provisions, autres que légumes, poissons et charcuteries. Les sacs d’oignons, empilés ou disposés en pyramides instables sur des tables, attirent les regards. Encore humides du voyage ou suintant de la conservation, rouges ou blancs, ces oignons ne sont pas seulement esthétiques : leur couleur renseigne aussi sur leur provenance. « L’oignon rouge, qui vire presque au violet, est local, cultivé au Sénégal. L’oignon blanc ou jaune pâle, en revanche, est importé, le plus souvent du Maroc », explique Abdourahmane, grossiste au marché Tilène.
La cohabitation d’oignons d’origines différentes sur le marché est la conséquence de la volonté du gouvernement d’éviter une pénurie de cette denrée en prélude à deux événements religieux majeurs : le Gamou et le Magal. L’État a alors ouvert les importations par anticipation, début septembre, pour une marge de 25.000 tonnes d’oignons importés. On parle plutôt d’un stock de régulation. Même si cette importation a considérablement fait baisser le prix du sac de 25 kg, passé de 22.000 FCfa à 14.000 FCfa, bien des marchands n’ont pas bien accueilli cette initiative. En effet, beaucoup d’entre eux estiment que cette réouverture précoce des importations met en péril la vente de l’oignon local.
Dans la boutique adjacente, Woury est en plein marchandage avec une jeune femme venue faire ses achats du mois. « Je veux un demi-sac d’oignons », demande-t-elle, les mains sur les hanches comme sur la défensive. « L’oignon importé est à 7.000 FCfa et le local à 6.500 FCfa », répond le commerçant, perché sur un tabouret en bois qui vacille sous son poids, pour descendre une caisse d’huile raffinée des étagères du haut. « L’oignon importé était à 6.250 FCfa le sac la semaine passée. Vous abusez avec les prix. Je ne veux pas de l’oignon local, il libère trop d’eau à la cuisson », se plaint-elle.
« Nous ne sommes plus la semaine passée, le prix de l’oignon peut changer en l’espace de 24 h », réplique le commerçant du tac au tac. Il finit ainsi par avoir le dernier mot. « Le problème du Sénégalais, c’est qu’il privilégie toujours le produit importé au produit local. Plus personne ne touche à l’oignon local dès qu’il entend parler d’importation. C’est pourquoi l’État devrait attendre l’épuisement du stock local avant d’ouvrir les importations », se désole-t-il.
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Castors offre un paysage plus résidentiel, mais avec un marché tout aussi populaire que Tilène. Avec un décor plus ordonné et des étals plus colorés, le marché est fréquenté par les habitants des quartiers alentour comme Dieuppeul, Front-de-Terre ou les Maristes. Ici, les revendeurs négocient les prix du jour avec les grossistes.
Le sac, qui était à 14.000 FCfa la veille, est à 15.000 FCfa ce matin, une hausse que les clients jugent injuste puisque c’est la même marchandise. Vendeur d’oignons et de pommes de terre au détail, Mamadou Bah passe aux aveux : « La vérité, c’est que l’État a ouvert les importations à temps. Les grossistes se plaignent parce qu’ils voulaient une pénurie pour en profiter et faire le maximum de bénéfices. L’oignon importé se vend tout comme l’oignon local : chaque client achète ce qui correspond à son budget, tout le monde y trouve son compte », dit-il.
Cet avis est partagé par mère Sophie. Rencontrée au marché Ouakam, en train de faire ses achats pour célébrer le Gamou chez elle, la dame se souvient encore des prix exorbitants d’il y a un an. « Quand je faisais mes achats pour le Gamou l’année dernière, le prix du kilo d’oignons était à 1 700 Fcfa ; aujourd’hui, il est à 650 Fcfa. Je ne sais pas comment l’État s’est organisé cette année, mais les prix sont raisonnables », se félicite-t-elle. Il est midi passé, le soleil tape déjà dru sur les tôles du marché de Ouakam, mais quelques dames, moins pressées, commencent à peine leurs courses. Il faut dire qu’elles ne sont pas stressées par la hausse des prix.
Mamadou THIAM (Correspondant)