Acteur majeur du financement des infrastructures en Afrique, la Banque africaine de développement est en train de réduire ses interventions dans la réalisation de routes au profit de projets ferroviaires. Ce constat est ressorti, hier, lors d’une présentation faite dans le cadre de la Conférence inaugurale de l’Africa Road Builders-Trophée Babacar Ndiaye qui se tient actuellement à Dubaï.
Par le passé, le rail a joué un rôle considérable dans le transport de personnes et de marchandises, contribuant ainsi à la croissance économique de beaucoup de pays. Cependant, au fil des ans, surtout en Afrique, ce moyen de transport a perdu de son influence à cause notamment de la mal gouvernance, de la vétusté des installations et du matériel roulant, du défaut de financement et de mobilisation des ressources pour sa modernisation. L’exemple du chemin de fer Dakar-Bamako suffit, à lui seul, pour se faire une idée de l’abandon du rail au profit de la route.
Pourtant, ces dernières années, même si cela ne se manifeste pas à un rythme de Tgv (train à grande vitesse), le rail est en train de reprendre sa place dans les politiques publiques des pays africains. Il y a deux ans, Dakar a abrité un Forum international sur le financement du chemin de fer. Et aujourd’hui, c’est la Banque africaine de développement, l’un des principaux bailleurs en matière de financement d’infrastructures sur le continent, qui est en train de réorienter ses efforts dans des projets ferroviaires. Cette nouvelle option est clairement ressortie de la présentation faite, hier, par Maïmouna Ndiaye Diop, spécialiste en chef infrastructures à la Bad, lors du premier jour de la Conférence inaugurale de l’Africa Road Builders-Trophée Babacar Ndiaye qui se tient actuellement à Dubaï. « La Banque est en train de faire un shift (Ndlr : changement) de la route vers le rail. C’est ce qui explique que la part du secteur routier dans les financements de la banque est passée de 85 % à 60 % », a-t-elle expliqué.
Cette politique s’explique, selon elle, par des soucis de promouvoir des systèmes de transport moins polluants et plus rentables sur le plan économique. Le train étant connu pour sa capacité à transporter plus de personnes et de marchandises, tout en permettant de réduire le rythme de dégradation des routes qui souffrent de la non-application de certaines règles communautaires censées les protéger comme le Règlement 14 dans la zone Uemoa. Lors du Forum de Dakar sur la question, ces constats sur les avantages comparatifs du rail par rapport à la route avaient été mis en exergue. Par exemple, il avait été démontré que le coût par kilomètre de voie ferroviaire réhabilitée est inférieur de 50 % à celui d’une route à deux voies, que le rail a aussi une meilleure longévité parce que là où les routes doivent être entièrement refaites tous les 7 à 10 ans, il faut 15 à 20 ans pour les voies ferrées.
Avantages comparatifs route-rail
En outre, il avait été souligné que la consommation d’énergie et l’empreinte carbone par tonne transportée par le train sont inférieures à celles de la route et des avions, le gain pouvant atteindre en moyenne 80 %. « Toutes ces raisons font que la Bad encourage de plus en plus les gouvernements à aller plus vers le ferroviaire, même si nous finançons toujours des projets de route. Mais, l’idée est d’équilibrer nos interventions et de soulager le patrimoine routier », ajoute Mme Diop. Cette nouvelle politique explique que la banque panafricaine s’est impliquée dans la réalisation de grands projets ferroviaires.
Par exemple, entre 2022 et 2024, sur les 30 projets de corridors financés par la Bad pour un montant de 7,23 milliards de dollars, quatre concernent des lignes ferroviaires. Toujours en 2024, la Banque a approuvé une garantie partielle de crédit de 696 millions de dollars afin de mobiliser 3,9 milliards de dollars pour la construction de la ligne ferroviaire à écartement standard du Corridor Central qui reliera la Tanzanie, le Burundi et la République démocratique du Congo (Rdc). Elle a également financé les études préparatoires pour la réalisation du pont routier-ferroviaire entre Brazzaville–Kinshasa.
Mme Diop a rappelé que le Train express régional du Sénégal est le projet dont la Bad a grandement contribué au financement. Et elle ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. La banque a déjà assuré aux autorités sénégalaises de sa disposition à les accompagner pour la réhabilitation du chemin de fer Dakar-Tamba. Cette question, selon Mme Diop, a été au cœur des échanges lors de la récente mission de la Bad. « La banque est disposée à accompagner le gouvernement dans ce sens. Nous avons déjà reçu une requête de l’Apix dans le cadre de l’élaboration de ce projet, nous en avons aussi discuté avec le ministre de l’Économie qui est le gouverneur du Sénégal à la Bad », a-t-elle précisé. Mieux, elle a ajouté que la Bad a une liste de projets pour le Sénégal, notamment la connexion du Port de Sendou au réseau autoroutier et ferroviaire.
Par Elhadji Ibrahima THIAM (Envoyé spécial à Dubaï)