La production d’anacarde au Sénégal a connu une évolution significative, passant d’une pratique agroforestière traditionnelle à un secteur économiquement viable. Cependant, plusieurs défis structurels freinent encore son expansion. Cet article, qui s’intéresse plus spécifiquement aux aspects liés à la production, après consultation du Président du Cadre régional de concertation des opérateurs de la filière anacarde de Ziguinchor, Monsieur Demba Diémé et ses collaborateurs, explore l’histoire de cette culture, les obstacles qui entravent son essor et les solutions stratégiques permettant de libérer tout son potentiel.
Un parcours historique partant de la subsistance au commerce
L’anacardier (Anacardium occidentale) a été introduit au Sénégal par voie de passage de la Guinée-Bissau, s’implantant initialement en Casamance. Dans cette région, il a joué plusieurs rôles essentiels dans l’agriculture, notamment la délimitation des terres agricoles, la lutte contre la salinisation des sols et le reboisement. Jusqu’aux années 1980, la noix de cajou était principalement consommée localement. Tandis que la pomme de cajou était consommée directement, son jus était soit consommé de manière brute ou transformé en vin par fermentation. L’arrivée des commerçants indiens vers la fin des années 1980 a marqué un tournant décisif, avec l’exportation des noix crues via la Gambie.
À cette époque, les prix oscillaient entre 50 et 150 FCFA le kilogramme, offrant ainsi de nouvelles opportunités de revenus aux agriculteurs locaux.
Tournant décisif de l’intervention de l’État et l’expansion du marché
À partir de 2012, le gouvernement sénégalais est intervenu pour organiser la filière anacarde par le biais des gouverneurs régionaux. Cette intervention a permis de créer les Cadres régionaux de concertation des opérateurs de la filière anacarde. Ces derniers ont beaucoup travaillé à inciter et à orienter les populations afin qu’elles s’intéressent davantage à la filière. En 2018, l’État pris la mesure d’organiser la filière en interdisant l’exportation des noix brutes via la Gambie et en imposant leur acheminement par les ports nationaux, notamment ceux de Ziguinchor et de Dakar. Également, en 2020, il a entamé le financement du secteur à travers la DER.
Ces mesures ont permis au Sénégal de s’affirmer sur la scène internationale en tant que pays producteur d’anacarde. Dans la même veine, une première association dénommée Cadre de concertation des opérateurs de la Filière Anacarde en Casamance (COFAC) s’est formée pour réunir les acteurs de la filière.
L’intérêt croissant des institutions financières et le début de soutien de l’État ont renforcé le développement de la filière.
Toutefois, malgré la demande mondiale croissante, la production sénégalaise reste insuffisante pour rivaliser avec les grands producteurs comme la Côte d’Ivoire, qui affiche une production annuelle dépassant le million de tonnes, alors que la production sénégalaise fluctue entre 100 000 et 150 000 tonnes. Toutefois, la marge de progression inexploitée du pays reste énorme avec la possibilité de devenir un grand jouer du marché mondial.
Les défis de la filière anacarde au Sénégal
Plusieurs obstacles compromettent la durabilité et la compétitivité du secteur de l’anacarde au Sénégal. La faible productivité et le vieillissement des plantations constituent des problèmes majeurs. Une grande partie des anacardiers sénégalais ont plus de 50 ans, entraînant une baisse de rendement significative. Contrairement à la Côte d’Ivoire, qui a massivement investi dans la recherche et le développement de nouvelles variétés, le Sénégal peine à moderniser ses plantations.
Par ailleurs, les producteurs manquent d’un encadrement technique structuré qui leur permettrait d’optimiser leurs pratiques agricoles et d’améliorer leurs rendements.
L’absence de financements dédiés à la recherche ralentit également l’introduction de variétés plus performantes et résistantes aux maladies.
L’accès limité aux financements et l’insécurité foncière constituent un autre frein majeur au développement du secteur. De nombreux agriculteurs ne disposent pas de titres fonciers, ce qui les empêche d’obtenir des crédits bancaires pour développer leurs exploitations. Sans un cadre financier adéquat, les investissements dans la culture de l’anacarde restent limités.
Toutefois, les acteurs soulignent que certaines banques commencent à se manifester, ce qui augure de lendemains meilleurs si cette volonté se matérialise de manière effective.L’un des autres défis majeurs réside dans le manque d’unités de transformation locale. Plus de 90 % des noix de cajou produites au Sénégal sont exportées sous forme brute, privant ainsi le pays d’une plus-value considérable et de nombreuses opportunités d’emploi.
L’Inde et le Vietnam dominent actuellement le marché de la transformation, captant ainsi les bénéfices économiques de la filière, tandis que le Sénégal demeure un simple fournisseur de matière première.Vers une filière dynamique et compétitive Pour que le Sénégal puisse exploiter pleinement le potentiel de l’anacarde, une approche stratégique s’impose. Investir dans la recherche et le renouvellement des plantations devient une nécessité absolue. Il est essentiel que l’État et le secteur privé collaborent pour développer des variétés d’anacardes à haut rendement adaptées aux conditions climatiques locales.
Un programme structuré d’élagage ou de remplacement des arbres vieillissants permettrait d’assurer la durabilité de la production.
L’encadrement technique des agriculteurs doit également être renforcé. La mise en place de services de vulgarisation agricole contribuerait à améliorer les connaissances des producteurs en matière de techniques culturales modernes. De même, des partenariats avec des universités et des instituts de recherche pourraient combler les lacunes en matière de formation et d’innovation.
La sécurisation du foncier est également une mesure incontournable pour encourager l’investissement dans la filière. Des réformes foncières garantissant aux agriculteurs des titres de propriété faciliteront leur accès au crédit et favoriseront l’expansion des exploitations. Par ailleurs, la création de fonds de développement dédiés à la filière pourrait stimuler la production et le développement des infrastructures de transformation.
Il est également envisageable d’aménager le territoire en initiant des projets pilotes de fermes intégrées combinant l’anacarde avec d’autres activités agricoles et économiques. Par exemple, des exploitations associant l’anacarde au maraîchage, à la pisciculture ou à l’apiculture permettraient de diversifier les revenus des producteurs tout en optimisant l’utilisation des terres. Ce type d’aménagement adapté donnerait une vocation spécifique aux territoires, créant ainsi des pôles de développement agricole durable.
Enfin, la mise en place d’industries de transformation locales représente une opportunité considérable pour créer de la valeur ajoutée et des emplois. En encourageant les investissements privés dans la transformation des noix de cajou, le Sénégal pourrait non seulement renforcer son économie, mais aussi diversifier son marché en promouvant la consommation locale de produits dérivés de l’anacarde. Cette logique serait en cohérente avec la volonté de souveraineté alimentaire affichée par les nouvelles autorités du Sénégal dans leur référentiel Vision Sénégal 2050. Conclusion Le secteur de l’anacarde au Sénégal regorge d’opportunités, mais sa pleine exploitation nécessite des efforts concertés entre l’État, le secteur privé et les institutions de recherche.
En adoptant une approche stratégique axée sur l’amélioration de la productivité, la modernisation des plantations et le développement d’industries de transformation, le Sénégal pourrait se positionner parmi les leaders africains et mondiaux de la filière anacarde. Comme la sagesse nous l’enseigne : « Si tu veux aller vite, marche seul. Si tu veux aller loin, marchons ensemble. » Le moment d’agir ensemble pour la filière anacarde sénégalaise est bien arrivé.
Dr. Ibrahima Gassama, Québec
Économiste, PhD.
Mail : igassama@gmail.com