Dans sa volonté d’améliorer la disponibilité des ressources financières, l’État du Sénégal a fait le pari d’élargir l’assiette fiscale en s’appuyant sur la taxe foncière. Cette niche d’opportunités nécessite cependant plusieurs réaménagements pour en tirer pleinement parti.
L’État du Sénégal veut élargir l’assiette fiscale pour améliorer la disponibilité des ressources financières. Dans cette ambition, le foncier constitue un levier important. Cependant, François Ndiaye, directeur du Cadastre, reconnaît que pour exploiter ce potentiel, plusieurs obstacles restent à lever. S’exprimant lors d’un atelier organisé à Dakar (7-10 juillet), il explique que la contribution foncière des propriétés bâties est assise sur la valeur locative des biens immobiliers. « Pour obtenir cette valeur locative, il existe une méthode d’évaluation définie par un cadre réglementaire qui nécessite des déplacements sur le terrain et des évaluations par les agents recenseurs et évaluateurs. Cette opération chronophage implique des prises de mesures sur le terrain ; ce qui en fait toute la complexité », souligne-t-il. Pour relever ce défi, il semble nécessaire que toutes les propriétés bâties soient répertoriées sur le plan cadastral et évaluées afin d’avoir une vision globale, harmonisée et équitable de l’impôt foncier. Une tâche ardue, notamment en raison de l’absence d’un cadastre exhaustif couvrant l’ensemble du territoire national. « Le plan cadastral ne vaut que par sa mise à jour, c’est-à-dire que les informations qui le composent doivent être actualisées en continu, aussi bien d’un point de vue graphique qu’attributaire », détaille François Ndiaye.
L’approche innovante du Pagcf
Dans cette volonté d’élargir l’assiette fiscale, l’État du Sénégal a lancé, en 2018, le Projet d’amélioration de la gestion des contributions foncières (Pagcf). Ce projet, logé à la Direction générale des Impôts et Domaines (Dgid), bénéficie d’un appui technique et scientifique, notamment d’économistes de l’École d’économie de Paris et de Sciences Po, ainsi que d’un soutien financier d’organisations comme le Fonds d’Innovation pour le Développement, J-Pal et la Banque mondiale. « L’innovation majeure du projet réside dans la mise en place d’un dispositif reposant sur un nouveau logiciel Web et Android, Suigil 2 : une plateforme numérique développée pour centraliser les données cadastrales, émettre les avis d’imposition et tester de nouvelles approches d’évaluation foncière, dans une perspective exploratoire. Ces travaux visent à identifier des méthodes susceptibles d’améliorer, à terme, la fiabilité et l’équité des bases d’imposition », indique un document produit par l’équipe du projet. Grâce à la phase pilote menée entre 2021 et 2024, la base des données fiscales a été enrichie de plus de 38 000 parcelles, portant le taux d’enregistrement dans ces zones à 92 %.
En 2025, une opération d’émission dans les zones recensées a permis de générer 26 412 nouveaux avis d’imposition, dont 17 062 ont été effectivement distribués, soit une couverture de 57 % des propriétés. En matière de mobilisation des ressources, ces efforts ont permis de collecter plus d’un milliard de FCfa (1,5 million d’euros) de recettes fiscales supplémentaires avec presque un triplement de la conformité fiscale dans les zones traitées. Pour Serigne Mabèye Fall, inspecteur principal des impôts et des domaines et administrateur du projet Pagcf, les rendements de la taxe foncière restaient jusqu’alors largement en deçà du potentiel, principalement à cause de problèmes d’adressage, du caractère informel du marché immobilier, de procédures manuelles et d’une faible culture fiscale. « Ce logiciel permet d’améliorer la gestion des contributions foncières. Il a apporté beaucoup d’innovations, de bon augure pour le défi de l’élargissement de l’assiette fiscale », souligne-t-il.
Encouragés par les résultats prometteurs de la première phase, les responsables ont décidé de passer à l’échelle. Ainsi, un financement complémentaire de 328 millions de FCfa sur trois ans sera mobilisé auprès du Fonds d’Innovation pour le Développement, avec l’extension prévue à toute la région de Dakar. Le Pagcf estime un potentiel de trois à huit milliards de FCfa de recettes annuelles supplémentaires.
La culture fiscale
Pour le directeur général des Impôts et Domaines, Jean Koné, même si le recensement des niches fiscales est primordial, il est tout aussi essentiel d’accentuer le volet pédagogique afin de convaincre les Sénégalais de s’acquitter de leur devoir fiscal. « De notre côté, une communication de masse est en cours. Aujourd’hui, personne ne peut dire, au Sénégal, qu’il ignore qu’il doit payer des impôts. Dans cette logique d’élargissement de l’assiette fiscale, aucun contribuable ne doit être négligé », insiste-t-il. C’est dans ce sens, précise M. Koné, il faut briser les barrières entre les services du cadastre, du foncier et de la fiscalité, pour une approche plus intégrée et efficace. Une efficacité qui devrait, à terme, profiter aux collectivités territoriales, souvent confrontées à un manque de ressources. « Les collectivités territoriales sont les réceptacles de ces efforts. Elles en sont les bénéficiaires ultimes », souligne Mabèye Fall. Le patron de la Dgid de renchérir : « Elles ont d’importants besoins en ressources pour répondre aux exigences du service public. Elles dépendent notamment des recettes issues des taxes et, en particulier, de la taxe foncière ».
Digitaliser le paiement des taxes
L’une des principales contraintes dans la collecte de la taxe foncière reste sans doute l’adressage, une problématique que l’application numérique développée prend en compte. D’après Justine Knebelmann, du Fonds d’Innovation pour le Développement, l’application intègre une carte et la géolocalisation ; ce qui, selon elle, permet de résoudre les problèmes d’adressage. « Le foncier est basé sur le réel. Il faut localiser les maisons. Des tablettes permettent de relever les informations sur les propriétés et les avis d’imposition sont générés sur cette base avec des QR codes. L’objectif est de gagner du temps dans le paiement, en mettant surtout en place des moyens de paiement digitaux. Des géomaticiens ont travaillé sur les surfaces bâties pour déterminer la valeur des propriétés et calculer l’impôt correspondant », explique-t-elle. Pour le directeur général des Impôts et Domaines, il est tout aussi important de travailler sur la facilitation du paiement. En effet, estime Jean Koné, il peut arriver qu’un contribuable soit dans les bonnes dispositions pour payer, mais il fait face à des contraintes administratives ou animé par une certaine phobie ; ce qui l’empêche d’aller s’acquitter de ses taxes. « En mettant à sa disposition des moyens de paiement plus modernes, tels que le mobile, on les pousserait à contribuer davantage », estime-t-il.
Par Oumar FÉDIOR