Le sable, pilier de nos cités, est en train de devenir une denrée rare. Des carrières fermées aux transporteurs pris au piège des embouteillages interminables, jusqu’aux voix désespérées des maçons et des familles… le secteur s’enlise dans le sable mouvant.
Derrière une mosaïque de monticules de sable ocre aux allures de dunes désertiques, Cheikh Lèye observe, depuis une tente de fortune s’arc-boutant sur de frêles piliers métalliques, un camion-benne patiné par d’innombrables voyages qui décharge la précieuse cargaison du jour. Un vent poussiéreux apporte un tourbillon de sable qui pique les yeux, mais l’homme reste impassible et suit le déroulement de l’opération avant d’aller jeter un coup d’œil pour, dit-il, inspecter la qualité de ce matériau de construction, devenu depuis quelques mois un baromètre des difficultés économiques pour bon nombre de personnes.
Les pieds enfoncés dans les ornières laissées par les pneus, Cheikh Lèye affirme être pris de court par cette augmentation du prix du mètre cube de sable de construction. « Lorsqu’on m’a annoncé le prix du mètre cube, j’étais tétanisé… », dit-il d’une voix de stentor, une résignation manifeste sur son visage glabre. « Mon activité est fortement impactée. Mes revenus ont baissé de moitié ces derniers temps », ajoute-t-il en jetant de temps en temps un regard autour de son dépôt.
Une augmentation de 70.000 FCFA sur le camion de 20 m³
Le vendeur est médusé par le prix du sable qu’il juge alarmant, avouant son incompréhension : «Je travaille certes dans ce secteur, mais j’ignore les raisons exactes de cette hausse soudaine du prix du sable de construction. Mon rôle se limite à acheter le matériau pour le revendre aux clients. Auparavant, on vendait 20 m³ de sable à 70.000 FCfa ou 80.000 FCfa. Désormais, le prix est passé à 150.000 FCfa ». Il est difficile de croire que ce vendeur, ayant capitalisé près d’une décennie d’expérience dans ce métier, puisse ignorer un écart de 70.000 FCfa. Mais il réplique avec des paroles amènes et sans aucune once d’espièglerie: « Je n’ai jamais mis les pieds dans une carrière. Je ne connais pas les rouages du circuit. Je suis une logique commerciale binaire, qui consiste à acheter et vendre le plus tôt possible ». Toutefois, Cheikh Lèye nous mène sur la piste d’un camionneur qui semble bien connaître les rouages du secteur, mais surtout la genèse de l’augmentation du prix du sable.
Joint par téléphone, Assane, un conducteur expérimenté, nous renseigne sur la situation actuelle du secteur de l’exploitation du sable. Selon lui, trois carrières restent ouvertes à l’exploitation dans la région, une situation qui contraste fortement avec le paysage habituellement dynamique de cette activité économique. En effet, beaucoup de sites d’exploitation ont été contraints à la fermeture pour non-conformité aux dispositions légales imposées par le gouvernement. « Ils ne disposaient pas de papiers. Actuellement, les camionneurs comme moi doivent se rabattre sur les rares sites en activité. Nous effectuons nos chargements principalement dans les carrières de Kagnack, situées en périphérie de Dakar, ainsi que dans celles de Tivaouane et de Khombole », explique Assane.
Trois carrières ouvertes à l’exploitation
Ces localités, autrefois marginales dans l’approvisionnement, sont devenues, selon lui, les principaux points de ravitaillement, engendrant une pression sur leurs capacités et des délais d’attente prolongés pour les transporteurs. Face à cette situation, raconte Assane Diène, les camionneurs avaient observé une grève qui n’a pas eu l’effet escompté. « On a tenté une grève il y a trois semaines pour alerter les autorités. Pendant plusieurs jours, aucun camion n’a circulé », dit-il. Résultat : les chantiers ont ralenti, mais l’État n’a fait aucune concession. « On a dû reprendre la route à perte », ajoute le camionneur.
La flambée du prix du sable de construction n’est pas un phénomène isolé. Elle a des répercussions en cascade sur l’ensemble de l’économie sénégalaise. Le secteur de la construction, moteur essentiel de la croissance économique, est directement impacté. Les coûts de construction augmentent de manière significative, ce qui se traduit par une hausse des prix de l’immobilier. Pour les ménages à revenus modestes ou moyens, l’accès à un logement décent devient plus difficile, aggravant la crise du logement dans les zones urbaines. Les promoteurs immobiliers sont contraints de réviser leurs budgets à la hausse, ce qui peut entraîner l’abandon de projets ou des retards importants. De plus, de nombreux emplois dépendent directement de cette industrie : des manœuvres aux maçons en passant par les petits transporteurs. La diminution de l’activité dans le secteur de la construction due à ces prix élevés menace ces emplois. Cheikh Lèye et ses homologues vendeurs de sable sont les témoins directs de cette détresse. Leurs marges se réduisent, leurs clients se font rares, et leur quotidien est rythmé par l’incertitude. « Il y avait beaucoup de vendeurs qui essaimaient dans les parages. Maintenant que l’activité est au ralenti, les camionneurs ou maçons ont du mal à honorer certaines dépenses quotidiennes », explique O. Bâ, un autre vendeur de sable.
• Par Pathé NIANG