Élection et économie en Afrique, c’est un tandem tantôt source d’opportunités, tantôt d’obstacle à la croissance. Moment de respiration démocratique, le premier devient de plus en plus source d’inquiétude sur le continent. Ce rendez-vous avec le peuple est attendu avec beaucoup d’appréhension, tant il peut mener à des incertitudes dans un continent qui a besoin de se rassurer et de rassurer le reste du monde. L’impact des violences post ou pré-électorales nuit à la stabilité économique, les investisseurs, c’est connu, abhorrant le risque. Tout comme un scrutin bien mené peut ressusciter l’espoir. La veille d’élections est le moment où se déclinent les programmes des candidats, permettant aux investisseurs de se faire une religion sur les opportunités d’un pays selon la trajectoire qu’il décide d’emprunter.
Mais, pour cela, il faut des institutions électorales fortes, garantissant une issue transparente du vote. Et très souvent, l’épilogue peut être déterminé à l’avance par le facteur économique. L’état d’une économie peut faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Comme le soutient Anthony Downs dans son étude controversée intitulée « Une théorie économique de la démocratie » (1957), les électeurs ne disposant pas d’assez de temps et de ressources à consacrer à un scrutin sanctionnent positivement ou négativement selon leur perception économique. Ici, l’électeur rationnel est comme un agent économique qui apprécie les informations pour faire le choix le plus avantageux. Il perçoit les partis comme des entreprises sur un marché politique cherchant à maximiser leurs votes pour conquérir ou garder le pouvoir. Bref, chacun essaie d’y trouver son compte. Le fait que les hommes politiques soient jugés à l’aune de leurs performances économiques renforce les possibilités d’alternance démocratique dans les pays africains.
La sensibilité à l’emploi, au pouvoir d’achat et à l’inflation est de plus en plus décisive aux élections en Afrique, rompant avec un vote peu éclairé du début des indépendances. Cependant, cela va de pair avec des institutions électorales fortes, en mesure de faire respecter l’expression populaire. À défaut, c’est l’incertitude politique et les tensions électorales, comme c’est régulièrement le cas dans beaucoup de pays africains. Les incertitudes et violences liées aux élections entraînent une baisse des investissements directs étrangers, perturbent l’activité commerciale et occasionnent une fuite des capitaux. Elles ne sont que l’expression d’un profond désir de mieux-être. Le manque de confiance dans les processus électoraux de nos pays a un coût : il oblige nos États à dépenser plus pour rassurer et éviter la fraude. Entre 2000 et 2018, l’Afrique subsaharienne a dépensé près de 125 milliards de dollars pour organiser des élections, soit le coût le plus élevé au monde, selon une analyse du Civil registration for development (Cr4D).
Les pays africains dépensent en moyenne 4,5 dollars par habitant pour les élections, contre 4 dollars en Amérique du Nord et en Asie, pour une moyenne mondiale de 2,10 dollars par personne. Les dépenses dans une logistique fiable, mais coûteuse, se font au détriment d’autres priorités et urgences (infrastructures, éducation, santé, agriculture, énergie, etc.), sans garantir des élections transparentes pouvant déboucher sur une alternance. Toutefois, il faut préciser qu’une démocratie bien ancrée n’assure pas toujours des lendemains économiques meilleurs, tout comme un régime dictatorial. Au contraire, le système de corruption et de malversations financières peut bien avoir cours dans un pays démocratique. Tout dépend de la bonne marche des institutions. L’absence de perspectives démocratiques dans certains pays a atteint un niveau tel qu’une tribune d’Adrien Poussou, ancien ministre centrafricain, publiée récemment dans le journal français Le Point, en arrive à poser une question sérieuse : « Faut-il suspendre les élections présidentielles pour sauver la démocratie en Afrique ? » Le genre de débats qui surgissent quand les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs. Néanmoins, rien ne vaut une respiration démocratique assurée par les urnes, quand chaque électeur est assuré que sa voix compte. malick.ciss@lesoleil.sn


