À Linguéto, village de la commune de Dioulacolon, département de Kolda, les femmes s’activent dans les rizières, en cette période d’hivernage. Leur labeur incessant est synonyme de fierté et de défis. Mais elles continuent de solliciter un coup de pouce, afin de réaliser leur rêve de cultiver du riz durant toute l’année.
En cet après-midi d’hivernage, Linguéto dévoile un charme brut. Les cases, alternant briques et bambou, s’ouvrent sur de vastes cours, où les arbres offrent une ombre bienvenue. Les champs verdoyants de maïs et d’arachide entourent le village, créant un écrin de vie rurale. Tout parait calme. Seuls quelques enfants, qui vagabondent, et de petits animaux domestiques, rodent autour. Les hommes adultes sont pour la plupart installés à l’ombre des arbres, pour un tour de thé. De quoi passer de bons moments en famille, tandis que dans les rizières inondées, situées à environ un kilomètre au sud du village, Sadio Baldé, 25 ans de métier, travaille avec une détermination palpable en compagnie de ses collègues. Elle est là, les pieds dans l’eau boueuse, occupée à planter des épis avec ses collègues ; le fameux repiquage. « C’est une activité qui demande beaucoup d’efforts », confie-t-elle, essuyant la sueur de son front. Ce matin, comme toujours, elle s’est levée tôt, pour préparer le petit-déjeuner, puis a rejoint les champs, avant de faire un tour au marché pour le déjeuner. Maintenant, elle est de retour, répétant des gestes précis sous un soleil encore chaud. Malgré l’épuisement visible, Sadio affiche une fierté tranquille. Les récoltes, parfois généreuses, assurent plusieurs mois de subsistance. « On s’en sort très bien », dit-elle. Mais elle ajoute, le regard sérieux : « Cela ne suffit pas ». Le manque de tracteurs, surtout au moment des récoltes, limite leur production. « Avec des machines, on pourrait faire tellement plus », soupire-t-elle, imaginant une rizière plus productive, libérée des contraintes manuelles.
Les risques
Non loin, Adama Baldé, la trentaine affirmée, se tient droite dans son pagne coloré, son physique robuste témoignant d’années de labeur. Cet après-midi, elle repique des plants, avec une concentration méticuleuse, tout en discutant de faits divers avec ses camarades. Elle explique le cycle du riz avec dextérité : « une partie des récoltes est conservée pour les semences », dit-elle. Au début de l’hivernage, les graines sont semées dans des champs secs, puis, après un mois, les jeunes plants sont repiqués dans les zones inondées. « C’est un travail pénible, mais voir nos familles nourries en vaut la peine », avoue-t-elle, un sourire dans la voix. Mais les risques sont là. Les pieds nus dans l’eau, Adama et ses collègues s’exposent aux piqûres d’insectes et aux blessures, faute d’équipements adaptés. « On manque de protection, et ça rend le travail plus dur », confie-t-elle. Elle rêve d’un soutien de l’État, ou d’organisations pour améliorer leurs conditions et leurs revenus. Ce que ces braves dames pensent mériter. Amplement du reste. En effet, même en saison sèche, Sadio Baldé, comme ses collègues, ne s’arrête pas : elle cultive son jardin horticole, travaillant « 12 mois sur 12 », pour subvenir aux besoins des siens.
Les défis
Au centre de Linguéto, Aliou Baldé, le chef du village, nous accueille chaleureusement chez lui. Il parle de son plaidoyer incessant pour les femmes rizicultrices. « Il nous faut au moins deux forages pour irriguer les rizières en saison sèche », insiste-t-il. L’accès à l’eau est un frein majeur, limitant la production et les ambitions des femmes. Pour Aliou, soutenir ces travailleuses, c’est avancer vers la souveraineté alimentaire prônée par les autorités. « Les femmes koldoises sont prêtes à tout pour travailler. Qu’on les aide ! », lance-t-il, d’une part, avec conviction. D’autre part, les femmes rizicultrices comme celles de Linguéto font face à un accès limité à la terre, un obstacle majeur à leur autonomie. Les terres cultivables, souvent contrôlées par les hommes, via l’héritage ou les traditions, sont rarement attribuées directement aux femmes. Elles dépendent de parcelles prêtées par leur famille ou la communauté, sans droits formels. Ce qui freine leurs investissements en semences ou équipements. Cette précarité limite leur production et leur sécurité économique. Malgré leur rôle clé dans la riziculture, les barrières culturelles et juridiques entravent leur émancipation, rendant leur combat pour l’accès à la terre essentiel pour la souveraineté alimentaire. Pourtant, d’après le vieux Aliou Baldé, c’est le site du centre de recherche zootechnique de Kolda qui a englouti leurs champs. Ce, depuis « le magistère de Senghor », se rappelle-t-il. Du coup, la population entière du village, avec une démographique croissante, peine à obtenir des surfaces arables pour nourrir les familles. Et Sadio Baldé dit, avec ironie : « que l’Institut scientifique de recherche agricole (Isra) nous donne ses terres. Il sera surpris de notre travail ». Malheureusement pour elle, la structure ne dispose pas de terrains inondés. De son côté, Maguette Fall, chef de la division « production végétale » à la direction régionale du développement rural, souligne l’impact de cette dynamique sur la production départementale : « La baisse de 4.446 hectares de superficie cultivée cette année est le fruit, non seulement, des contraintes climatiques, mais aussi un accès inégal aux ressources, notamment pour les femmes ». Cependant, poursuit-il, « je ne veux pas encore me prononcer sur d’autres données statistiques, mais les rendements restent prometteurs vu la pluviométrie et le comportement des cultures », conclut-il. Ce recul, combiné au manque de forages et d’équipements, rend la riziculture encore plus laborieuse.
Mais à Linguéto, sous cette apparente sérénité, les défis sont nombreux : absence d’équipements modernes, conditions de travail rudes.
Pourtant, les femmes, comme Sadio et Adama, incarnent une résilience hors norme. Leur travail, rythmé par les saisons, est un pilier de l’économie locale. En attendant un potentiel soutien, ces bonnes dames continuent de semer, de repiquer, de rêver. Leur combat, c’est celui d’un village qui, malgré les obstacles, refuse de plier. Ici, la riziculture est plus qu’un métier : c’est une promesse d’avenir, portée par des femmes prêtes à tout pour nourrir leur communauté, et bâtir un futur prospère.
Par Tidiane SOW (Correspondant à Kolda)