Le rapport de certains Sénégalais au travail est-il porteur de germes du développement ? Sève nourricière de l’économie d’un pays, le travail a une valeur sociale et éducative qui n’a jamais fait défaut dans les sociétés africaines traditionnelles où l’oisiveté et la paresse étaient réprouvées. Qu’en est-il du Sénégalais moderne, surtout en cette période de ramadan ?
La plupart des entreprises et services allègent leurs horaires pour permettre aux employés d’allier jeûne et obligations professionnelles. Mais à l’arrivée, c’est moins de tâches accomplies, c’est presque un sacrilège de déranger l’agent qui croit, le temps du ramadan, avoir signé un contrat à durée déterminée avec son long chapelet à égrener toute la journée pour espérer rentrer dans les bonnes grâces du Seigneur. Et à la fin de la journée, on se rend compte, pour ceux qui ont un début de conscience professionnelle, qu’on a beaucoup psalmodié et peu mouillé le maillot. Sans s’en rendre compte, on contribue lourdement aux contreperformances.
L’absentéisme, les retards ou les départs du lieu de travail avant l’heure autorisée, on n’en parle pas. Et quand la nervosité s’invite dans ce cocktail explosif, l’usager ou le contribuable y réfléchit à deux fois avant d’interpeller un agent irascible. On feint d’oublier que, comme l’est le ramadan, le travail est une recommandation divine qui anoblit l’homme.
Le prophète dit, selon un hadith rapporté par Al-Boukhary : « Personne n’a mangé de meilleure nourriture que celle qu’il a gagnée de ses propres mains ».
« Travaille comme si tu ne devais jamais mourir et prie comme si tu devais mourir demain », recommande Cheikh Ahmadou Bamba. Une façon de nous dire que le travail, c’est aussi adorer Dieu, les deux étant indissociables. « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front, jusqu’à ce que tu retournes à la terre dont tu as été tiré », dit la Bible. Cette prescription divine se heurte à des résistances à la peau dure que nous refusons d’affronter. Les partisans du moindre effort ou « Pme » pouvant déclencher un effet de contagion au sein du lieu de travail. Pendant ce temps, l’employeur est condamné à répondre présent au moment de payer les salaires. Dans son ouvrage « Les dysfonctionnements révélateurs de coûts cachés dans les entreprises sénégalaises : quelles perspectives pour la maximisation de la valeur ? », l’enseignant-chercheur Boniface Bampoky explique l’impact des comportements déviants « qui vont à l’encontre de l’esprit et de la synergie de groupe ».
Il convoque le modèle du « passager clandestin » théorisé par l’économiste américain Mancur Olson, qui est une analyse de l’action collective. Ce phénomène renvoie à un groupe d’individus partageant des intérêts communs qui se rassemblent pour les défendre, mais d’autres membres estimeront plus rentable de ne pas prendre part à cette mobilisation. Sachant qu’ils profiteront des fruits de cette action collective, les « passagers clandestins » d’Olson décident de ne pas y contribuer, de ne pas en supporter les coûts.
*L’action collective est portée alors à son terme par un mécène, ajoute Pr Bampoky. Sous nos cieux, l’employé modèle affublé « gueum service », zélé jusqu’à rebuter parfois ses collègues, supporte à lui seul le fardeau collectif. Le coût complet d’un produit, d’une activité ou d’une fonction est parfois réducteur quand on omet les « coûts cachés », ces éléments neutres ou qui exercent un impact négatif dans le processus de création de la valeur, et qui, pour la plupart des cas, échappent au modèle comptable. Ils ont pour noms : retards et absentéisme, mauvaise structuration et instrumentation de la gestion de l’entreprise, externalités négatives subies, mauvais pilotage des actions occasionnant une tricherie de la part des employés, mauvaise gestion des délais, faible niveau de qualification des employés, etc.
« Elles trouvent leur origine dans des dysfonctionnements organisationnels qui proviennent des comportements humains », poursuit l’enseignant-chercheur. Le comportement humain, voilà une donne qui est à l’origine de la faible productivité, mais que nous refusons de voir pour changer nos mauvaises habitudes. malick.ciss@lesoleil.sn