Une mission du Fmi séjourne à Dakar du 18 au 26 mars. L’objectif est de faire le point sur le missreporting (fausse déclaration) suite à la publication du rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques. Les conclusions de la mission serviront donc de base au Conseil d’administration du Fmi pour statuer sur une dérogation ou une demande de remboursement du prêt par le Sénégal. C’est après cette étape que les discussions pour un nouveau programme pourront démarrer. Dans cet entretien accordé au « Soleil », le chef de mission, Edward Gemayel, fait le point sur les discussions et analyse la situation économique du pays.
Avez-vous l’assurance d’avoir maintenant les bons chiffres sur les finances publiques et qu’il n’y aura pas un « missreporting » sur le « missreporting » ?
Nous avons reçu le rapport de la Cour des comptes que nous avons trouvé excellent. Il nous permet d’avoir une idée de l’ampleur du « missreporting » (Ndlr : fausse déclaration) et de ce qui s’est passé. Les autorités sénégalaises, tout comme nous-mêmes, sont très conscientes de la situation et nous voulons à tout prix éviter qu’il y ait un nouveau « missreporting ». L’objectif de cette mission est donc d’étudier ce rapport, échanger avec les autorités pour comprendre ce qui s’est passé et comment, puis identifier des mesures correctrices pour prévenir toute récidive.
Va-t-on vers une dérogation pour le Sénégal suite à cette fausse déclaration ?
C’est au Conseil d’administration du Fmi de décider. Deux options existent : soit le Sénégal devra rembourser le prêt initial, soit il bénéficiera d’une dérogation en fonction des mesures correctrices mises en place par le gouvernement.
Les autorités sénégalaises travaillent dans le sens d’obtenir une dérogation et ont déjà proposé une série de mesures correctrices, en plus de celles identifiées par le rapport de la Cour des comptes. Ultimement, la décision reviendra au Conseil d’administration du Fmi. Les négociations portent-elles sur la reprise de l’ancien programme ou sur un tout nouveau programme ? Le gouvernement a clairement exprimé le souhait de négocier un nouveau programme différent de celui de l’ancien régime.
Quelles seront les principales différences avec le précédent programme ?
Nous n’avons pas encore échangé sur le contenu du nouveau programme, mais il s’alignera sur les priorités de la « Vision Sénégal 2050 ».
Nous n’avons aucun problème avec cela. Il comportera principalement deux volets : d’une part, la stabilisation de l’économie face à l’augmentation de la dette et des déficits et, d’autre part, un axe consacré à la croissance, à l’investissement et au rôle du secteur privé.
Y aura-t-il un volet financement ?
Absolument ! si les autorités en font la demande. Nous ne pouvons pas leur imposer un financement, mais il me semble que ce soit l’intention du gouvernement.
Quand peut-on espérer la conclusion de ce nouveau programme ?
Je ne vais pas m’aventurer à donner une date précise. La première étape, c’est de clore le dossier du « missreporting ».
Nous y travaillons depuis le début de cette affaire. Nous étions là en septembre dernier, puis en octobre. Nous avons aussi reçu la délégation du Sénégal lors des Assemblées annuelles d’octobre et depuis lors, les échanges ont continué virtuellement. Ce que je veux dire, c’est que nous essayons d’avancer le plus vite possible.
Une fois que nous aurons compris ce qui s’est passé, comment cela s’est passé et identifié les mesures correctrices, nous pourrons présenter le dossier le plus vite possible au Conseil d’administration. Et à partir de ce moment, nous pourrons immédiatement commencer à négocier un nouveau programme.
Nous sommes très conscients de la situation ; c’est pour cela que nous essayons de mettre les bouchées doubles pour avancer le plus vite possible.
Quelles sont les attentes du Fmi en matière de mesures correctrices et quels engagements a pris le Sénégal ?
Nous discutons actuellement de ces mesures. L’objectif est d’améliorer la transparence budgétaire et fiscale ainsi que la gestion de la dette. Il est essentiel de centraliser la gestion de la dette publique, car une partie de celle-ci était jusque-là inconnue.
L’objectif de ramener le déficit budgétaire à la cible de 3 % d’ici à 2027 est-il raisonnable ?
Oui, c’est un objectif raisonnable. Cependant, la stabilisation de la dette et du déficit est primordiale. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais l’échéance fixée par le gouvernement nous semble atteignable.
Est-ce que le gouvernement a pris des engagements fermes sur la suppression des subventions à l’énergie et comment cela va-t-il se traduire ?
Nous n’avons pas encore discuté des subventions avec le gouvernement, mais il a clairement dit vouloir mieux les cibler. En plus de peser beaucoup sur le budget de l’État, ces subventions, comme le montre le rapport de la Cour des comptes, contribuent, de façon indirecte, à la dette bancaire. Ce qui est important pour nous, c’est de réduire d’abord graduellement les subventions.
Deuxièmement, mettre en place un système de compensation adéquat pour le segment de la population le plus vulnérable. Le Registre national unique (Rnu), qui contient à peu près 600 000 ménages, soit le quart de la population sénégalaise, peut servir de transfert de cash pour compenser les ménages vulnérables.
Troisièmement, la communication est très importante pour expliquer le pourquoi de la suppression de ces subventions qui, pour l’essentiel, profitent plus aux riches. Donc, il ne faut pas s’attendre à une augmentation du prix de l’électricité… Nous n’avons pas discuté du coût de l’électricité, mais ceux qui sont dans la tranche sociale devraient, à mon avis, être épargnés par une éventuelle hausse.
Le Fmi a-t-il demandé une baisse des salaires ?
Non, nous n’avons jamais demandé au gouvernement de couper les salaires. Nous attendons de voir plus clairement l’idée derrière l’annonce de la réduction des salaires. Ce qui pose problème, c’est l’augmentation de la masse salariale qui a atteint un niveau considérable. Il est possible de la réduire sans toucher aux salaires individuels.
Par exemple, en ne remplaçant pas les fonctionnaires partant à la retraite ou en nettoyant le fichier des fonctionnaires fictifs. Un audit du fichier serait utile avant toute décision.
Faut-il aussi rationaliser les agences de l’État ?
Si certaines agences qui font la même chose peuvent être regroupées, pourquoi pas. Et cela va dans le sens de ce que la nouvelle administration envisage avec la volonté de réduire le train de vie de l’État.
Le Sénégal risque-t-il d’être classé en situation de surendettement ?
Une analyse de la viabilité de la dette est nécessaire avant de répondre à cette question. Nous ne l’avons pas encore fait parce qu’il faut d’abord stabiliser la dette en 2024 et recevoir les données sur les différents prêts que le gouvernement a contractés. C’est à partir de ce moment que nous pourrons déterminer, avec nos collègues de la Banque mondiale, la situation exacte de la dette. Mais, pour le moment, ce que je peux dire, c’est que le gouvernement est toujours capable d’honorer le service de la dette et il n’a pas été forcé de faire une restructuration quelconque. Ce sont, en général, ces deux indicateurs que nous regardons pour voir si la dette est soutenable ou non. Donc, pour le moment, la dette du Sénégal est toujours soutenable.
Est-ce que le Fmi envisage de réviser à la baisse ses perspectives de croissance pour le Sénégal ?
Une fois que nous nous mettrons d’accord avec le gouvernement sur une simulation fiscale sur le moyen terme, il y aura sûrement un certain impact sur la croissance. Mais, la croissance du Sénégal est déjà assez élevée, elle est au-dessus de 8 % cette année, l’une des plus fortes en Afrique. Donc, s’il doit éventuellement y avoir une révision de la croissance, ce sera dans des proportions limitées. En outre, ce serait une révision temporaire à court et moyen terme avant un rebond.
Les investisseurs sont-ils inquiets de la situation au Sénégal ?
Ils sont très rassurés par l’exercice de transparence auquel s’est livré le gouvernement. Pour le prouver, il suffit de regarder les taux d’intérêt sur les eurobonds du Sénégal qui n’ont que légèrement varié d’avant la publication du rapport de la Cour des comptes. Cela montre que la démarche de transparence est bien perçue.
Quelles leçons le Fmi tire-t-il de la falsification des chiffres au Sénégal ?
Nous essayons non seulement de comprendre ce qui s’est passé, mais aussi d’éviter que cela ne se reproduise plus. Donc, c’est assurément une leçon pour le Fmi et tous les autres partenaires, mais aussi et surtout pour le Sénégal.
Entretien réalisé par Seydou KA (photo : Moussa SOW)