Une récente photographie de l’Agence nationale des statistiques et de la démographie (Ansd) sur les activités économiques par région renforce l’écart entre Dakar et le reste du Sénégal. En 2023, le Produit intérieur brut du Sénégal ou Pib (base 2014) est estimé à 18.619,5 milliards de FCfa, Dakar concentrant, à elle seule, 46% de cette richesse nationale, soit 8.567,7 milliards de FCfa. Une prédominance que l’Ansd explique, comme tout le monde le sait d’ailleurs, par la forte concentration d’unités économiques dans cette région, vaste de 550 km2 seulement, soit 0,3% du territoire national. Dakar et seulement quatre autres régions sur 14 pèsent 71,3% du Pib national, il s’agit de Thiès (10,6%), Diourbel (5,4%), Saint-Louis (4,9%) et Kaolack (4,4%).
Le reste, soit neuf régions, à savoir Fatick (3,3%), Kaffrine (3,1%), Kédougou (3,6%), Kolda (3,3%), Louga (3,8%), Matam (2,6%), Sédhiou (2,6%), Tambacounda (3,3%) et Ziguinchor (3,1%), contribuent à hauteur de 28,7% à la richesse du Sénégal. En termes de Pib par habitant, Dakar et Kédougou présentent des niveaux supérieurs à la moyenne nationale, estimé à 1.027.202 FCfa, se hissant respectivement à 2.725.107 et 2.139.558 FCfa. Ce genre de disparités structurelles n’est pas l’apanage de Dakar. C’est le lot de plusieurs pays africains confrontés, depuis les indépendances, à une hyper concentration des infrastructures et des services dans une seule zone.
La machine à remonter le temps conduit directement à la période coloniale, où les villes côtières, dont la plupart sont devenues des capitales aujourd’hui, servaient de portes d’entrée pour un accès à l’hinterland pour l’exploitation des ressources naturelles. Malheureusement, beaucoup de nations africaines n’ont pas songé, au lendemain des indépendances, à mener de véritables politiques de rééquilibrage territorial. C’est le cas de Dakar (qui a relégué au second plan l’ex-capitale Saint-Louis), Accra au Ghana, Abidjan en Côte d’Ivoire, Dar es-Salaam en Tanzanie, etc. D’ailleurs, ce n’est pas hasard si les grandes métropoles et les fortes concentrations humaines sur le continent se trouvent le long des côtes. Des pays ont essayé d’inverser la tendance en séparant les capitales économiques et administratives avec plus ou moins de réussite : Yamoussoukro n’a pas réussi à éclipser Abidjan, Lagos au Nigeria n’a pas perdu son lustre face à Abuja. D’ailleurs, combien parmi nous continuent à croire que Abidjan et Lagos sont toujours des capitales politiques, à côté de leurs positions de poumons économiques ? Au Sénégal, les tentatives de transférer la capitale sont restées à l’état de vœux pieux, le projet Lompoul du Président Abdoulaye ayant été vite enterré.
À la place, son successeur Macky Sall a créé une ville à Diamniadio, principale porte d’entrée de la très congestionnée Dakar. Cette concentration des investissements et de la plupart des services dans une seule zone crée les conditions de pauvreté et de vulnérabilité dans les régions, surtout en zones rurales (chômage, faible niveau d’instruction, accès aux soins défaillants, déficit d’écoles, taux de fécondité élevé, etc.) Face à un horizon bouché, naturellement on note une ruée vers la capitale pour espérer se faire une place au soleil. Ce qui n’est pas sans conséquences sur le coût et la qualité de vie (inflation, accès difficile au logement, urbanisation anarchique avec l’apparition de bidonvilles et de squats à la périphérie, insécurité, etc.) Les infrastructures et services existants sont sur-sollicités pour répondre à une forte demande difficile à satisfaire (transports, santé, eau, assainissement…).
La seule survie passe par la débrouillardise des couches vulnérables à travers de petits métiers ou des activités délictuelles. Autant de conséquences qui rendent pertinents la création de pôles-territoires dans le but de valoriser le potentiel local et de donner à chacun d’entre eux un rôle de locomotive économique compétitive.
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