La révélation d’une dette cachée de 7 milliards de dollars soulève de nombreuses interrogations sur les risques économiques et financiers pour le Sénégal. L’économiste Magaye Gaye décrypte pour Le Soleil les enjeux de cette situation et propose des pistes pour une transition économique réussie.
Que risque le Sénégal avec la révélation d’une dette cachée de 7 milliards de dollars ?
La révélation de cette dette cachée suscite des inquiétudes sur les marchés financiers, notamment la notation du pays et la confiance des investisseurs. Si cette situation entraîne une nouvelle dégradation de la note du Sénégal, cela pourrait se traduire par des coûts d’emprunt plus élevés et une limitation de l’accès aux financements internationaux, surtout du côté des créanciers privés. Cependant, il faut relativiser ces inquiétudes, car ce qui importe aux bailleurs de fonds internationaux, ce sont, avant tout, les fondamentaux économiques du pays. Le Sénégal possède plusieurs atouts majeurs : un secteur énergétique en pleine expansion, avec la production de pétrole et de gaz ; une nouvelle élite au pouvoir marquée par l’éthique a pris des initiatives stratégiques, etc. Par ailleurs, il est essentiel de soulever le débat sur la responsabilité partagée dans cette crise budgétaire. L’ancien chef de mission du Fmi à Dakar a reconnu cette responsabilité partagée. Le Sénégal pourrait utiliser cet argument pour engager un plaidoyer en faveur d’un rééchelonnement ou d’une annulation partielle de sa dette.
Quelles leçons peut-on tirer des expériences de la Zambie et du Zimbabwe ?
Le Sénégal doit tirer des enseignements de la crise zambienne et zimbabwéenne pour éviter un effondrement financier lié à sa propre dette cachée. Il est impératif d’engager rapidement une restructuration en commençant par les créanciers bilatéraux, majeurs comme la Chine, afin d’éviter un défaut de paiement brutal qui paralyserait l’économie. Cependant, sur le plan multilatéral, toute stratégie visant à obtenir une restructuration de la dette du Sénégal doit impérativement s’inscrire dans une démarche communautaire au sein de l’Uemoa pour éviter que le pays ne soit perçu comme le seul en difficulté. Ensuite, il faut réduire la pression sur les finances publiques en rationalisant les dépenses et en diversifiant les sources de financement. Cela passe notamment par une ouverture vers de nouveaux créanciers en explorant la finance islamique et en renforçant les partenariats avec des pays arabes et d’autres économies émergentes non occidentales.
De plus, le Sénégal bénéficie d’un marché financier sous-régional dynamique dont il est le deuxième acteur majeur derrière la Côte d’Ivoire. Dans un contexte où les pays de l’Alliance des États du Sahel peinent à mobiliser des ressources en raison des risques politiques, le Sénégal pourrait, grâce à une excellente communication et une gestion rigoureuse, capter davantage de financements sur ce marché. Enfin, comme je le rappelle depuis 2024, à chaque annonce du taux directeur de la Bceao, une politique d’assouplissement quantitatif pourrait être une solution pour le Sénégal. Cette stratégie est d’autant plus justifiée que le secteur informel qui représente plus de 50 % du Pib échappe encore aux objectifs de quantification monétaire. En conséquence, des mesures temporaires de planche à billets et des stratégies de rachat d’actifs, notamment des créances et des obligations, permettraient d’élargir l’offre monétaire tout en soutenant l’activité économique. L’État sénégalais pourrait, avec cette stratégie, renforcer ses liquidités.
Comment réussir cette phase de transition ?
Pour réussir cette phase de transition, il est impératif de poursuivre les réformes économiques et budgétaires, particulièrement pour assurer une gestion plus rigoureuse des finances publiques. La nouvelle élite politique a un rôle crucial à jouer pour rétablir la confiance des investisseurs et engager des réformes structurelles. En résumé, il faudra une volonté politique forte, une gestion rigoureuse des ressources et des réformes structurelles afin de renforcer l’autonomie économique du pays et réduire sa dépendance aux financements extérieurs.
Propos recueillis par S. KA