Au Sénégal, la microfinance islamique s’impose comme une alternative crédible à la finance classique. Portée par un cadre juridique renforcé et un potentiel de mobilisation de l’épargne considérable, elle pourrait devenir un levier majeur d’inclusion financière. Mais, entre lourdeurs institutionnelles, manque de compétences spécialisées et défis fiscaux, son essor reste encore semé d’embûches. Président du Comité de dialogue social du secteur de la microfinance (Cds/Mf), Mamadou Lamine Guèye analyse, dans cet entretien, les défis.
Quelle est la particularité de la microfinance islamique par rapport à la microfinance classique ?
Comme son nom l’indique, la microfinance islamique – ou finance islamique tout court – fonctionne selon les préceptes de la Shari’a, tirés du Coran, de la Sunna et du corpus juridique islamique. Elle repose sur un principe fondamental : substituer la logique du commerce et de la marge à celle de l’intérêt. Ses fondements sont bien établis. D’abord, elle interdit l’intérêt (riba). Ensuite, elle consacre un véritable partage du risque entre les trois parties prenantes que sont l’investisseur, l’institution financière et l’entrepreneur. Contrairement au système conventionnel, où l’essentiel du risque pèse sur le client, ici, pertes et profits sont équitablement répartis.
À cela s’ajoute l’interdiction du financement d’activités jugées non éthiques, telles que l’alcool, les drogues, le porc ou encore les jeux de hasard. Enfin, la finance islamique se distingue par son exigence d’adosser tout financement à un actif tangible, ce qui l’ancre solidement dans l’économie réelle. En résumé, là où une institution classique transforme l’épargne en prêts rémunérés par des intérêts, une institution islamique investit directement ces dépôts et partage les résultats avec ses clients. Sa principale source de revenus provient donc des marges réalisées sur les opérations d’achat et de revente.
Quelles opportunités offre ce mode de financement pour renforcer l’inclusion financière et soutenir l’économie ?
La finance islamique apparaît comme une alternative crédible et innovante, porteuse de grandes opportunités pour les économies en développement. Sa dynamique mondiale, illustrée par l’expansion rapide des marchés islamiques au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est et en Afrique, montre qu’elle est en mesure de mobiliser des ressources financières importantes. Ces fonds peuvent ensuite être orientés vers le financement de l’économie réelle, notamment à travers les institutions de microfinance islamique locales. Elle possède également un autre atout : sa capacité à capter l’épargne d’une partie de la population musulmane, y compris dans la diaspora, qui refuse de placer ses ressources dans les institutions conventionnelles. Grâce à des produits éthiques, diversifiés et attractifs, elle séduit aussi bien les musulmans que les non-musulmans. Parce qu’elle est adossée à des actifs réels, elle se révèle moins spéculative et plus résiliente en période de crise. Pour l’instant, le secteur en est encore à ses débuts. Deux institutions exclusivement islamiques ont été agréées : Taysir finance en 2021 et Al Rahma en 2023. Mais tout porte à croire que la microfinance islamique prendra son essor avec l’accompagnement renforcé de l’État, notamment à travers le Promise, programme lancé en 2018 avec le soutien de la Banque islamique de développement. Ce dispositif pourrait en faire un véritable levier d’inclusion financière, en ligne avec les objectifs fixés par le gouvernement et supervisés par la Bceao.
La nouvelle loi adoptée en février 2025 va-t-elle changer la donne ?
La loi de 2008 ouvrait déjà la possibilité de diversifier les opérations des institutions de microfinance. Mais ce n’est qu’en 2018 que la Bceao a pris une décision marquante en adoptant une instruction spécifique à la finance islamique. Le véritable tournant est, cependant, venu avec la nouvelle loi n° 2025-04 du 19 février 2025. En intégrant explicitement les opérations islamiques parmi les activités principales autorisées aux institutions de microfinance, elle clarifie le cadre légal et consolide les bases du secteur. Les institutions de microfinance peuvent désormais exercer la finance islamique, soit à titre exclusif, soit à travers une branche spécialisée. Ce changement apporte plus de visibilité aux investisseurs et rassure les acteurs. Même si des contraintes persistent, il est indéniable que cette loi vient combler un vide et ouvre une nouvelle étape pour le secteur.
Quelles contraintes freinent encore le développement de la microfinance islamique au Sénégal ?
Si les perspectives sont prometteuses, la microfinance islamique n’échappe pas à certaines difficultés structurelles. La première concerne la gouvernance. Chaque institution doit mettre en place un Conseil de conformité interne, appelé Sharia Board. Une exigence lourde pour de petites structures, alors qu’une mutualisation à travers l’association professionnelle des Imf serait plus adaptée. Un autre frein réside dans le manque de compétences spécialisées. La finance islamique requiert une double expertise en ingénierie financière et en droit islamique ; or, les ressources humaines qualifiées sont encore rares. Le risque est de voir la confiance du public s’éroder si les institutions manquent de crédibilité. L’État devrait donc investir davantage dans la formation, en mobilisant les ressources du Promise et du 3Fpt, et en s’appuyant sur des centres de formation spécialisés. À ces difficultés s’ajoutent la nécessité d’adapter le cadre juridique et fiscal, le coût parfois élevé de certains montages comme la Murabaha ou l’Ijara, ainsi qu’un risque de réputation. Si les principes éthiques ne sont pas scrupuleusement respectés, les investisseurs pourraient se détourner du système. Malgré ces obstacles, l’expert reste optimiste : la microfinance islamique dispose des atouts nécessaires pour s’imposer, à condition de lever progressivement ces contraintes.
Entretien réalisé par Seydou KA