De passage à Dakar, le candidat zambien pour la présidence de la Banque africaine de développement (Bad) s’est confié au « Soleil ». Dans cet entretien, Dr Samuel Munzele Maimbo décline sa vision pour une banque adaptée aux défis actuels et futurs. Il a aussi eu un mot pour son rival et « frère » sénégalais, Amadou Hott.
Pourquoi avez-vous décidé de briguer la présidence de la Banque africaine de développement ?
Je me suis lancé dans cette course par amour pour ce continent parce que je n’ai jamais été aussi confiant quant à l’avenir de l’Afrique. Nous avons une population jeune, des terres arables et d’abondantes ressources naturelles. Cependant, les tensions géopolitiques et le changement climatique constituent des défis majeurs auxquels nous devons faire face. L’Afrique doit s’adapter à ces transformations, mais malheureusement, elle ne le fait pas aussi rapidement que la situation l’exige. Après 30 ans de carrière dans des institutions internationales, je pense avoir l’expérience et les compétences nécessaires pour amener la Bad à relever ces défis.
Quelle est votre vision pour une Bad adaptée aux défis actuels et futurs ?
Ma vision repose sur trois axes. Premièrement, une gouvernance représentative. Je veux gérer la Bad comme une institution de classe mondiale en veillant à ce que cette gouvernance reflète la diversité du continent et soit adaptée aux défis actuels. La banque doit collaborer étroitement avec l’ensemble de ses partenaires, tant régionaux que non régionaux. Le deuxième axe, c’est un soutien renforcé aux gouvernements africains. Les gouvernements africains n’ont pas besoin de leçons ; ils ont besoin de soutien financier pour concrétiser leurs visions et projets. Mon rôle sera donc de travailler en synergie avec eux pour répondre aux besoins de leurs populations. Le troisième axe, c’est un développement ciblé dans des secteurs-clés. L’agriculture, les industries créatives (art, culture, sport) et d’autres secteurs stratégiques doivent être priorisés. Le leadership et le développement ne sont pas l’œuvre d’une seule personne, mais d’un effort collectif. Mon objectif est donc de mobiliser l’ensemble des équipes et partenaires autour de ces ambitions.
Comment envisagez-vous la réforme de la Bad ?
Pour moi, la réforme est déjà en marche. Depuis six mois, je mène une campagne active et j’ai échangé avec d’anciens et actuels responsables de la banque, des décideurs africains, des citoyens et des partenaires internationaux. Mon but est de recueillir les idées et de structurer une vision claire pour l’avenir de la Bad. Lors de mes déplacements, j’accorde une attention particulière aux jeunes, au secteur privé et aux femmes afin de mieux comprendre leurs attentes. Nous devons optimiser les processus de la banque pour les rendre plus efficaces et adaptés aux réalités économiques du continent. Par ailleurs, je compte mettre en place un programme de formation pour les jeunes africains et créer un conseil consultatif qui leur permettra d’exprimer leurs idées sur les projets de développement.
Quel bilan tirez-vous de la Bad après 60 ans d’existence ?
La Bad a accompli de nombreuses réalisations au cours des six dernières décennies, notamment dans les secteurs de la santé et des infrastructures. Cependant, le rythme du développement reste insuffisant. Il est impératif d’accélérer la transformation du continent. L’actuel leadership de la Bad a su instaurer un climat de confiance avec les partenaires internationaux, offrant ainsi une vision solide pour soutenir l’Afrique. Si je suis élu, mon rôle sera de poursuivre et de renforcer ces efforts afin d’amplifier leur impact.
Dans un contexte marqué par les tensions géopolitiques et la guerre commerciale, comment comptez-vous travailler avec les partenaires et mobiliser les ressources financières pour accélérer le développement de l’Afrique ?
Mon expérience en matière de mobilisation de fonds me permet d’aborder ce défi avec sérénité. J’ai déjà levé 93 milliards de dollars pour la Banque mondiale pendant la pandémie de Covid-19, à un moment où le monde traversait une crise sans précédent. Trois principes guident ma stratégie. Le premier, c’est comprendre et convaincre les donateurs. Il est essentiel de bien saisir leurs attentes et de leur proposer des solutions adaptées. Le deuxième, c’est de garantir la transparence pour rassurer les investisseurs sur l’utilisation des fonds en mettant en place des mécanismes de suivi rigoureux. C’est pourquoi je veux engager des réformes pour rendre la banque beaucoup plus efficace, transparente et crédible. Le troisième principe, c’est de démontrer notre capacité à lever des ressources. La Bad doit renforcer ses outils de financement en optimisant son bilan et explorer de nouvelles voies en collaborant avec d’autres institutions financières, les compagnies d’assurance et les banques commerciales.
Pensez-vous que l’administration Trump continuera de soutenir la Bad ?
Je reste convaincu que les États-Unis souhaitent maintenir leur engagement en faveur du développement africain. La forme que prendra ce soutien dépendra des discussions que nous aurons avec l’administration américaine. J’étais à Washington il y a deux semaines et j’y retourne la semaine prochaine pour poursuivre nos échanges. L’un des aspects que j’apprécie dans la manière de gouverner de Donald Trump, c’est sa franchise : il exprime clairement ses attentes. Dans le domaine de la finance, cette clarté est un atout précieux.
Pourquoi avez-vous choisi de faire campagne à Dakar alors que le Sénégal a son propre candidat, à savoir Amadou Hott ?
Je tiens à préciser qu’Amadou Hott n’est pas mon adversaire, mais un frère africain. Notre adversaire commun, c’est la pauvreté et le sous-développement du continent. Que ce soit moi, Amadou Hott ou un autre candidat, nous avons tous le même objectif : lutter pour l’émergence de l’Afrique. Je suis venu au Sénégal par respect et par admiration pour ce pays et ses dirigeants. Le Sénégal joue un rôle clé en Afrique de l’Ouest et au sein du continent. De plus, les réformes mises en place par les nouvelles autorités sénégalaises constituent un modèle inspirant pour d’autres nations africaines. Je suis venu donc ici pour les écouter, pour apprendre et comprendre comment, avec elles, nous pouvons travailler à réaliser ces réformes qui ont un impact au-delà des frontières du Sénégal et partout en Afrique. Ce travail restera pour l’Afrique. Indépendamment du candidat qui sera élu, nous devrons travailler ensemble.
Quelles autorités sénégalaises allez-vous rencontrer durant votre séjour ? Allez-vous voir le président Bassirou Diomaye Faye ?
Dans ma culture d’origine, nous valorisons le respect et l’écoute des autorités. Je suis donc à la disposition des dirigeants sénégalais pour échanger avec eux sur nos visions communes.
Comment évaluez-vous vos chances de succès dans cette élection ?
Depuis le début de la campagne, j’ai obtenu le soutien de la Sadc (Communauté de développement d’Afrique australe) et du Comesa (Marché commun de l’Afrique orientale et australe). Chaque jour, je travaille pour rallier d’autres États membres, qu’ils soient africains ou non régionaux. Je crois en ma vision, en mon parcours et en ma capacité à relever ce défi pour le bien du continent. C’est pourquoi je reste confiant quant à mon élection.
Entretien réalisé par Seydou KA (photo : Moussa SOW)