Diamniadio, ville nouvelle ! Cette réalité est battue en brèche par des architectes qui soulignent « son urbanisme décousu et son absence d’âme ». Nabil Riad, Ceo du groupe Blue City Key, y développe actuellement un concept original. Dans cet entretien, il défend une vision plus intégrée et inclusive, misant sur des écoquartiers pensés pour toutes les catégories sociales. Entre pression démographique, défis du financement et nécessité d’un cadre de vie durable, il plaide pour une approche plus stratégique et cohérente du développement urbain.
Le Sénégal vit le paradoxe d’une démographie galopante, mais avec une macrocéphalie dans son Finistère ouest africain où se retrouvent 25 % de la population. Comment un opérateur dans le secteur appréhende-t-il ces données-là ?
C’est un problème, mais il n’est pas propre au Sénégal. Si on considère la Côte d’Ivoire, le Rwanda ou le Nigeria, cette explosion démographique est vraiment continentale. Le Sénégal compte 18 millions d’habitants ; les prévisions pour 2050 tablent sur 35 millions. Donc, si on superpose 25 % de la démographie, soit à peu près quatre millions d’habitants sur la capitale, cela crée quand même une congestion considérable et c’est assez anxiogène pour tout le monde. Ceci doit être résorbé et cela se fait actuellement par ces schémas de villes nouvelles qui sont en train d’être créées. Mais, est-ce que vous imaginez demain Dakar avec huit millions d’habitants ? C’est impensable.
Vous dites qu’il faut savoir aller au-delà de l’habitat social et penser aussi aux classes moyennes qui sont en droit d’espérer un cadre de vie attractif. Est-il possible d’envisager un habitat non social ?
On ne doit pas délaisser l’habitat social pour traiter de l’habitat de moyen ou de grand standing. Aussi, on ne doit pas non plus s’axer uniquement sur l’habitat social en délaissant le reste. Le modèle de ville nouvelle de Diamniadio, actuellement développé avec le Pôle urbain, est attractif et intéressant dans le sens où il est vraiment multisectoriel et s’adresse à toutes les couches de la société. Cela veut dire qu’on a des zones industrielles et des zones administratives. On a quand même 70 % du gouvernement qui est installé sur le Pôle. Donc, on a ce gage de garantie et cette migration étatique qui est quand même un symbole assez fort pour inciter les populations à aller en ce sens. Si Dakar est devenue ce qu’elle est en termes de prix, qui est assez considérable, voire inaccessible quasiment pour beaucoup de Sénégalais, une des solutions est dans ce type de ville nouvelle. Diamniadio est à 15 minutes de l’aéroport, avec des transports en commun par Ter ou par voie rapide, ce qui le rend intéressant. Sa proximité de l’aéroport et la Petite côte, qui est à peu près à 40 minutes, tout en restant assez proche de la capitale, à 35 kilomètres, en termes de stratégie, ce n’est pas négligeable. Le siège d’institutions internationales, telles que les Nations unies, le « Vaccinopole » (le plus grand de la région, 300 millions de doses annuelles), les data centers, zones industrielles, les infrastructures comme le Centre d’exposition, le Cicad, le stade Abdoulaye Wade, Dakar Arena…y sont implantés. Plusieurs hôtels y ont ouvert ; ce qui constitue des gages importants pour le secteur privé et touristique en pensant aux prochains Jeux olympiques de la jeunesse. Je pense qu’en termes de maturité, c’est bien parti. Maintenant, s’il y a un secteur à accélérer, c’est l’habitat. Il y a à peu près un peu plus de 10 ans, ici, les habitats socioéconomiques étaient approximativement de 16 à 18 millions de FCfa. Actuellement, le même type d’appartement est à peu près entre 43 à 46 millions de FCfa. On vit un dilemme. Faut-il d’abord attirer les habitants, en espérant que leur présence stimule le développement économique et crée une dynamique locale, ou, au contraire, doit-on prioriser l’installation des commerces et des infrastructures pour inciter les habitants à s’installer ? La véritable solution ne réside pas dans des constructions éparses et isolées qui risquent de fragiliser la cohérence architecturale et de compromettre le respect du plan d’aménagement urbain. De plus, si chacun développe ses propres infrastructures ou ouvre son commerce sans vision d’ensemble, on se retrouvera avec une prolifération d’établissements similaires, sans réelle adéquation avec les besoins collectifs.
Expliquez-nous ce que serait une écoville idéale dans le contexte de Diamniadio ?
Le principe des écoquartiers, comme on peut l’observer à Dubaï ou ailleurs, repose sur la création de quartiers d’habitat intégrés. Il n’y a aucune raison d’hésiter à en parler, car ces projets offrent une véritable cohérence urbaine. À l’intérieur de ces quartiers, les promoteurs prennent en charge les infrastructures essentielles : commerces, écoles, espaces de loisirs, services, comme les pharmacies et les banques. C’est précisément ce que nous mettons en place sur nos sites. En intégrant ces éléments dès la conception du projet, nous répondons à la problématique classique : faut-il d’abord installer les habitants ou les infrastructures ? Ici, les deux sont intégrés simultanément dans le même programme. Quant à l’idée selon laquelle ces écoquartiers seraient réservés à une élite, ce n’est absolument pas le cas. Nous travaillons activement sur cette question. Lors de l’élaboration d’un projet, une étude de marché est menée pour identifier un public cible. En fonction de ce public, plusieurs critères sont pris en compte, comme le choix des matériaux, l’architecture, les prix et le type d’habitat proposé. Prenons l’exemple du projet que nous développons actuellement à Diamniadio : nous pouvons conserver la même structure de base tout en l’adaptant à différents profils, allant des ménages à revenus moyens jusqu’aux bénéficiaires de logements sociaux. Cependant, il est essentiel de ne pas réduire l’habitat social à une simple question de construction de logements. On pourrait comparer cela à une horloge où chaque pièce joue un rôle précis. La problématique dépasse les seuls constructeurs et promoteurs immobiliers : elle s’inscrit dans une dynamique plus large, tenant compte du retard accumulé dans la livraison de logements et de la forte demande générée par la croissance démographique.
Quelle est la formule adéquate pour envisager un mix entre habitat social et commodités des écovilles ?
Aujourd’hui, si on prend les foyers sénégalais, on est à 60 % de familles composées en moyenne de huit personnes par foyer. Si on prend cette réalité-là, il faudrait déjà qu’on ait une typologie de biens qui soit destinée à ce type de famille. Que ce soit de l’habitat social ou abordable, ou haut standing, en général, ces types de biens ne sont pas des achats qui sont faits par impulsion, mais réfléchis de long terme. On ne peut pas proposer un F2, par exemple, pour un nouveau couple dans la vie active. Ce sont des gens qui, en quatre ans, peuvent déjà être sur un couple avec deux enfants. L’appartement ne correspondra plus. C’est dire que le Sénégal doit regarder ce qui s’est fait ailleurs pour en tirer des leçons. Si on prend le modèle d’habitat social brésilien, il a donné des favelas, celui des États-Unis a donné les ghettos. En France, les cités qui ont été bâties dans les années 70-80 ont été démolies dans les années 2000 puisqu’ils se sont rendu compte que c’était des zones de non-accès, des zones de délinquance. Ainsi, toutes les barres Hlm qui ont pu être faites en France, dans plusieurs banlieues et régions, ont été démolies pour créer des habitats qui soient beaucoup « plus respirants ». Ce sont de bons exemples à prendre en termes de leçon pour ne pas réitérer cette erreur consistant à être dans cette course à la construction sans prendre en considération tout ce qui est environnement, cadre et infrastructures.
On peut bien avoir des écovilles où l’habitat cadre avec ces préoccupations que vous venez d’évoquer. Mais, pour la question du financement de l’accès au logement, comment faire pour concilier des prix attractifs aux préoccupations des investisseurs dans l’immobilier ?
L’habitat social, c’est une horloge. Chaque pièce fera que la montre fonctionnera ou pas. Aucune pièce n’est négligeable. Le financement fait partie de la solution de l’habitat social. On peut penser à un modèle d’habitat, mais si, in fine, le modèle de financement ne correspond pas à la capacité d’acquisition, il n’est pas viable. On a une économie informelle à plus de 90 %. Récemment, on a recensé à peu près 35 banques commerciales. Sur une politique d’habitat social, à l’échelle nationale, les partenaires seront plus des fonds d’investissement ou des banques d’investissement. Mais, ce ne sera pas une banque commerciale accompagnatrice, peut-être sur un projet pilote, mais qui ne sera pas représentatif. Ce dont on a besoin, ce sont des partenaires prenant en considération la réalité de la population sénégalaise et non pas de projets uniquement dédiés aux fonctionnaires. Pour 18 millions de Sénégalais, on a 300 000 comptes bancaires recensés. Si on prend le nombre de fonctionnaires, on peut considérer que cela correspond quasiment au nombre de fonctionnaires. On rajoutera quelques acteurs économiques, mais c’est principalement les fonctionnaires. L’habitat social, c’est une optimisation maximale des coûts avec un accompagnement de l’État autant que possible, c’est-à-dire avec des exonérations fiscales, une mise à disposition du foncier, un soutien du gouvernement afin d’aider les foyers sénégalais à être propriétaires. C’est le but.
Propos recueillis par Samboudian KAMARA