Dans cette interview, le directeur général de la Société financière internationale (Sfi), Makhtar Diop, aborde le partenariat avec le Sénégal. Selon lui, près de 583 milliards de FCfa d’investissements (environ un milliard de dollars) seront réalisés cette année. L’objectif est d’accompagner la transformation économique du pays par la création et la promotion de chaînes de valeur.
Quelles sont la symbolique et les fonctions du nouveau siège du groupe de la Banque mondiale à Dakar inauguré vendredi 9 mai ?
La symbolique, c’est de présenter le groupe de la Banque mondiale comme une entité unique malgré ses trois composantes. Par le passé, nous n’intervenions pas toujours de manière coordonnée auprès des clients alors que les solutions que nous proposons sont souvent intégrées. Prenons l’exemple des Partenariats public-privé (Ppp) : sans coordination entre nos actions dans le secteur public et privé, nous ne pouvons pas offrir la meilleure solution au gouvernement. L’objectif de ce bâtiment est de permettre aux pays de bénéficier de solutions intégrées. C’est un message très fort. C’est aussi la dynamique insufflée par notre président, Ajay Banga, qui souhaite que, partout dans le monde, nous nous présentions comme une entité cohérente, bien coordonnée, au service des pays partenaires.
Est-ce une manière pour vous de mieux accompagner le Sénégal dans le cadre de l’Agenda 2050 ?
Le président de la République l’a bien exprimé dans son discours lors de l’inauguration du nouveau siège. Il a résumé, de manière claire, le rôle du secteur privé dans la stratégie de développement du pays. Dans le cadre de la « Vision Sénégal 2050 », notre objectif est d’accompagner le gouvernement dans les domaines des infrastructures, de l’énergie, de l’agriculture, etc.
Nous voulons accélérer cet effort. Lors de ma dernière visite à Dakar, j’ai rencontré plusieurs investisseurs dans la distribution, le secteur pharmaceutique, l’agriculture, et les besoins sont importants. Nous avons notamment constaté un manque de fonds propres dans de nombreuses entreprises qui empruntent excessivement aux banques, créant ainsi un déséquilibre. Nous voulons renforcer leurs capacités financières pour leur permettre une croissance saine. Nous offrons également une assistance technique aux Pme et autres structures afin de les aider à se développer.
À terme, nous souhaitons mobiliser davantage l’épargne domestique et amener plus d’entreprises à accéder au marché régional des capitaux en utilisant cette épargne nationale pour investir dans des entreprises performantes. Il ne s’agit pas d’investir, mais de favoriser une transformation structurelle de l’économie du Sénégal et de la sous-région. Nous mettons aussi un accent sur l’intégration régionale et la création de chaînes de valeur régionales.
Dans un contexte géopolitique incertain, il est essentiel de construire ces chaînes à l’échelle sous-régionale. Pour cela, il faut soutenir les initiatives de la Zone de libre-échange continentale africaine ; ce que fait le groupe de la Banque mondiale via son volet public, mais aussi en rapprochant les investisseurs et les secteurs privés africains.
Y aura-t-il davantage de joint-ventures et de prises de participation
? Oui, il y aura plus de joint-ventures, plus de prises de participation et plus d’investissements Sud-Sud. Par exemple, nous avons beaucoup travaillé avec des pays du Golfe.
Savez-vous que le plus grand investisseur en énergies renouvelables sur le continent africain est une entreprise d’Abu Dhabi qui n’était pas présente en Afrique il y a 10 ans ?
Grâce à notre financement, elle a réalisé la plus grande ferme solaire du continent en Égypte. Nous sommes désormais à la phase 2 de cet investissement, et nous l’accompagnons aussi en Éthiopie et ailleurs. Nous pensons également qu’il est important d’attirer plus d’investissements des pays du Golfe. En parallèle, des investisseurs africains souhaitent investir sur le continent, mais ils sont souvent confrontés à des barrières non tarifaires.
C’est une responsabilité des États africains de les réduire. De notre côté, nous continuerons à accompagner ces investisseurs. C’est tout le sens de l’African Trade Initiative qui aide les banques à financer les exportations entre pays africains pour créer plus de richesses via des projets solides.
Avec le Ter et le Brt, Dakar est en pleine transformation. Comment accompagnez-vous cette dynamique ?
L’investissement dans la mobilité urbaine est un axe majeur pour le groupe de la Banque mondiale. En facilitant les déplacements grâce à des transports collectifs de qualité, nous réduisons les émissions de gaz à effet de serre, les embouteillages et les désagréments liés à la circulation. Il faut continuer à développer les infrastructures de transport. La question du logement est également essentielle. Il faut trouver des moyens de valoriser efficacement le foncier en construisant de manière plus rationnelle, notamment en hauteur, et en utilisant des technologies appropriées.
Ce sont des solutions que nous avons déjà mises en œuvre ailleurs et que nous souhaiterions proposer ici. Enfin, il est crucial de décentraliser la production en créant des pôles industriels hors de Dakar. L’agriculture joue un rôle clé à cet égard. Elle permet le développement de pôles manufacturiers et agro-industriels dans d’autres régions du pays.
Qu’en est-il du numérique, un secteur porteur ?
Il y a deux ans, nous étions le plus grand investisseur en Afrique dans le domaine des infrastructures digitales.
Nous avons financé des entreprises africaines en capital (equity), en dette et nous avons soutenu des data center. Nous nous intéressons également à l’Intelligence artificielle. À ce titre, nous avons accompagné la société Kera, fondée par Moustapha Cissé, en lui apportant une assistance technique. Les fintechs représentent également un secteur stratégique pour nous. Notre appui a permis plus de compétitivité ; ce qui a entraîné une baisse des coûts de transaction.
Que vous inspirent les 13 premiers mois de Bassirou Diomaye Faye à la tête du Sénégal ?
Je note un fort engagement du chef de l’État. C’est excellent ! Personnellement, j’ai vu en lui une volonté de travailler, une ouverture d’esprit et un désir sincère de transformation. Son discours de ce vendredi [9 mai] était très clair. Le partenariat que nous avons avec les autorités sénégalaises est exemplaire. Nous continuerons à les accompagner dans la mise en œuvre de la « Vision Sénégal 2050 ».
Demba DIENG