Lorsqu’on évoque la « Salle de vente » de Dakar, l’esprit imagine souvent une boutique bien établie, propre et ordonnée. Pourtant, la réalité est tout autre. Il s’agit en fait, d’un coin de rue animé, niché au cœur du marché Sandaga de Dakar, où commerçants ambulants, réparateurs de téléphones et vendeurs d’électronique font prospérer diverses activités. Entre les étals improvisés et les négociations animées, cet endroit est un carrefour effervescent où se croisent destins et marchandises, un véritable écosystème de la « débrouille » sénégalaise.
Dès qu’on s’aventure dans cette artère, située le long de l’avenue Lamine Gueye et à l’entrée du marché Sandaga, une énergie palpable saisit immédiatement le visiteur. Commerçants, réparateurs de téléphones et vendeurs d’appareils électroniques se côtoient dans une danse incessante d’offres et de demandes. Des lampadaires, souvent exposés à même le sol ou accrochés de manière rudimentaire, diffusent une lumière tamisée qui renforce l’authenticité et le caractère singulier des lieux. Les câbles électriques s’entortillent en faisceaux, tandis que les interrupteurs et prises sont disposés dans un désordre apparent, mais paradoxalement efficace pour attirer le regard des acheteurs.
Parmi les visages familiers de ce lieu de commerce, on rencontre El Hadj, un marchand ambulant. Debout devant sa table, il étale ses accessoires de téléphone, tandis qu’un mégaphone diffuse en boucle sa voix enregistrée. Il explique que le mégaphone est un moyen essentiel pour attirer les clients. Dans cette ambiance de « pollution sonore » caractéristique du lieu, El Hadj, que ses camarades appellent affectueusement Aladji, présente son activité de marchand ambulant. « Je vends des accessoires de téléphonie : chargeurs, écouteurs, LED, ainsi que divers autres produits », précise-t-il.
Non loin d’El Hadj, de l’autre côté de la rue, on trouve Abdou Sarr. La trentaine révolue et originaire de Fatick, il dépoussière méticuleusement les téléphones qu’il s’apprête à vendre, confortablement assis sur un tabouret à l’ombre d’un parasol. « Je vends du matériel électrique, des téléphones et divers produits électroniques », explique-t-il, soulignant la grande diversité des articles proposés à même le sol. Des produits inattendus, comme des lunettes de réalité virtuelle, peuvent même y être dénichés. Il précise que certains téléphones sont vendus à seulement 2 000 FCFA l’unité.
La loterie quotidienne : défis de qualité et pression urbaine
Malgré cette effervescence apparente, la vie des commerçants de la « Salle de vente » est rythmée par de nombreuses difficultés, à commencer par l’incertitude omniprésente liée à la qualité des produits, souvent acquis en lots. « Il arrive parfois que nous achetions des lots de matériel sans les tester au préalable. Le vendeur peut alors avoir de la chance et recevoir du matériel fonctionnel. C’est ainsi que nous vendons nos produits. Nous informons d’ailleurs le client que nous n’avons pas testé l’appareil et que c’est à lui de prendre le risque de l’acheter et de le tester chez lui », confie El Hadj, décrivant la « loterie » quotidienne à laquelle ils se livrent.
Un constat partagé par Abdou Sarr : « Cela est dû au fait que nous vendons directement sur le sol, en pleine rue, sans accès à l’électricité. Nous n’avons donc pas les moyens de tester si le matériel est fonctionnel ou non. C’est la même situation lorsque nous le vendons aux clients. »
Au-delà de l’incertitude concernant la marchandise, la pression des autorités locales constitue une source d’angoisse constante. « Notre plus grande difficulté est d’être constamment sommés de quitter les lieux par les agents de la mairie ou les policiers, sous prétexte que nous encombrons les voies », déplore El Hadj, dont la voix résonne dans son mégaphone.
Les mains expertes et les démarcheurs de l’ombre
Au milieu de ce tumulte commercial, d’autres acteurs sont tout aussi indispensables à la vitalité du marché. Elimane Willane est l’un d’eux. Assis sur une chaise, entouré de ses outils, il est à la fois réparateur et vendeur de téléphones. « Les clients viennent avec divers soucis techniques : problèmes d’écran, de système de charge, de réseau… et nous réparons leurs appareils », explique-t-il, soulignant la polyvalence requise pour exercer ce métier. Il fait face à des défis spécifiques, tels que le retour de produits réparés mais toujours défectueux, et la nécessité impérieuse de rester vigilant face au recel. « J’évite d’acheter ce genre de téléphones, car cela peut entraîner des poursuites pour vol ou recel », confie ce père de famille soucieux de sa réputation et de sa sécurité.
Les démarcheurs, comme Boubacar Cissé, à la barbe grise et au T-shirt usé, parcourent inlassablement les allées. C’est ainsi que Monsieur Cissé gagne son pain. « Nous allons à la rencontre des clients pour cerner leurs besoins et les orienter vers les vendeurs ou réparateurs adéquats », explique-t-il de sa voix grave. C’est un travail épuisant et particulièrement incertain. « Ce n’est pas facile de rester sous un soleil brûlant à attendre qu’un client se manifeste. Nous pouvons gagner entre 5 000, 10 000 ou 20 000 FCFA par jour. Mais parfois, nous pouvons passer une semaine entière sans gagner un seul franc », déplore Boubacar, qui, malgré ces difficultés, se lève chaque matin, à l’instar de tant d’autres pères de famille.
Face à ces défis quotidiens, les commerçants de la « Salle de vente » partagent un même rêve ardent : obtenir des espaces de travail stables et dignes. « Notre souhait est d’avoir des cantines pour vendre nos produits », exprime El Hadj, un sentiment partagé par Abdou Sarr. « Nous sommes des fils de ce pays et avons choisi de rester et de gagner notre vie ici. Nous pensons que les autorités devraient nous soutenir ; ce que nous demandons, c’est simplement un endroit stable pour vendre. Nous espérons obtenir des cantines », lance ce dernier, le regard perdu dans le flux incessant des passants.
Cheikh Tidiane NDIAYE