Dans cette interview, en marge du Forum africain, sur les systèmes alimentaires, Olivier Buyoya directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest de la Société financière internationale (Sfi) aborde les enjeux du secteur agricole. À l’en croire, passer de 3% à 10%, ou 15% de financement bancaire qui va à la production permet d’accroître la productivité.
Vous avez pris part au forum africain sur les systèmes alimentaires. Qu’est ce que cela vous inspire ?
Le forum sur les systèmesalimentaire en Afrique, organisé au Sénégal, ne pourrait pas tomber en meilleur moment. Ce qui était au centre de ce forum, c’est la place que les différentes parties prenantes ont voulu donner aux jeunes et aux femmes. C’est aussi la place de l’innovation au service des jeunes et des femmes, qui sont eux-mêmes au service de la production, de la productivité agricole ou de la sécurité alimentaire. Moi, ce que ça m’inspire, c’est l’espoir, parce que nous avons vraiment vu un enthousiasme, une mobilisation record en termes de participants. Je tiens d’ailleurs à féliciter le gouvernement du Sénégal pour la réussite mais c’est surtout l’enthousiasme des acteurs.
L’Afrique fait partie aujourd’hui des régions les plus menacées par l’insécurité alimentaire. Comment à votre avis, la disponibilité des terres et la jeunesse de la population peuvent être des atouts pour inverser la tendance ?
Nous avons aujourd’hui des intrants agricoles adaptés au sol. Durant le Forum, nous avons participé à une session sur les systèmes alimentaires dans le Sahel. Vous savez que c’est une région menacée par les changements climatiques. Nous le voyons ici au Sénégal et ailleurs. Mais aujourd’hui, il y a des instruments adaptés à la technologie pour pouvoir pallier ces dangers. Ensuite, il y a des acteurs nouveaux. Nous avons parlé d’Agritechs, ce sont en réalité des jeunes entreprises souvent détenues par des jeunes entrepreneurs qui ont des solutions adaptées à nos problèmes. Et ces gens-là, aujourd’hui, ce ne sont plus des start-ups. Un certain nombre de ces gens-là ont des solutions qu’ils déploient au quotidien. Nous, aux côtés de la Banque mondiale et le FIDA, sommes aujourd’hui non seulement mobilisés, à adopter ces technologies et à insérer l’innovation dans le secteur.
L’autre paradoxe est que seuls 10% des crédits bancaires vont dans le secteur agricole. Comment corriger cela ?
Malheureusement, je dirais que vous êtes optimiste. En réalité, le secteur bancaire injecte moins de 3%, moins de 2% de crédit bancaire pour le secteur agricole. Il y a une autre donnée qui est encore plus parlante. Les 3% du crédit bancaire ne sont captés que par 8% des acteurs. Cela veut dire que 90% du monde agricole n’a pas droit au financement bancaire. C’est une réalité et c’est un vrai défi. Pourquoi ? Parce qu’en réalité, nous le saveur, l’argent c’est le cœur des activités. Pour pouvoir augmenter la productivité agricole, nous avons parlé de produire plus sur de très petites surfaces en utilisant moins de ressources naturelles. Pour pouvoir augmenter la production, il faut des moyens. Un de ces moyens, c’est le financement. C’est là où il est vraiment important de comprendre le problème auquel nous sommes confrontés avant d’essayer de le résoudre. Il ne faut pas s’arrêter là. La raison pour laquelle le financement est aujourd’hui un grand défi pour le secteur agricole, c’est parce que les vendeurs du capital, ceux qui fournissent le crédit et le financement, continuent de percevoir le secteur agricole, surtout la production primaire, comme un secteur très risqué. Il faut aussi admettre qu’ils n’ont pas totalement tort.
Maintenant comment IFC compte accompagner le déploiement de la technologie agricole dans un contexte de changement climatique?
Un des facteurs importants de changement, c’est l’utilisation justement de la technologie pour pouvoir conforter celui qui donne le crédit. Je vous donne un exemple. Nous avons, au sein de la SFI, travaillé avec une société qui travaille avec les producteurs agricoles dans la région du nord du Sénégal. Ils vont sur le terrain, ils rassemblent les informations auprès des producteurs agricoles, combien ils sont, quels quantités ont été produites en moyenne sur les cinq dernières années, quels besoins ils ont en termes de financement, à qui ils ont vendu la production, etc. Cette information est organisée, structurée, et elle est mise à la disposition d’une institution de financement, une banque à l’occurrence, une société de microfinance. Et sur la base de cette information, le banquier peut alors prendre une décision pour accorder un financement à cet ensemble de producteurs. C’est ça qui est en train de révolutionner, et j’espère qu’il va révolutionner, la capacité du système bancaire à financer les producteurs agricoles. Nous, l’institution de développement, nous pouvons contribuer en amenant l’assistance technique, l’encadrement des producteurs, en amenant des instruments de garantie au système bancaire, en travaillant avec les pouvoirs publics pour que ces schémas soient reconnus dans les politiques publiques. Et si on y arrive, alors on aura la chance de pouvoir passer de 3% à 10%, à 15% de financement bancaire qui va à la production agricole. Et là, on aura la possibilité d’accroître la productivité.
Comment garantir une approche chaîne de valeurs
Quand on parle d’approche de chaîne de valeur, en réalité, pour le dire plus simplement, celui qui produit, il vend à qui ? Et celui à qui on a vendu, qu’est-ce qu’il fait après ? C’est en réalité ça, l’approche chaîne de valeur. Et aujourd’hui, les pouvoirs publics, nous l’avons entendu des différents ministres de l’agriculture qui étaient ici, travaillent en étroite collaboration avec le secteur industriel pour la transformation des produits agricoles. Cette transformation peut-être d’une façon de base, le packaging. Quand on prend un produit de riz, on le décortique et on le met dans un sac pour pouvoir le vendre. Au-delà de la transformation, il y a aussi tout ce qui est chaîne logistique. Ce sont aussi des acteurs qui sont importants dans la chaîne de valeur. Dans la production horticulture, l’un des défis dans l’ensemble de nos pays de la région, c’est la capacité de stockage. Le Sénégal, comme exemple, a la capacité de pouvoir fournir la production locale d’oignons peut suffir à la demande au Sénégal, voire exporter. Mais généralement, la production locale ne couvre que six mois à huit mois des besoins du marché. Mais quand on a terminé de récolter, comme il n’y a pas de capacité de stockage, quelques mois après, l’oignon qu’on a produit n’est plus disponible, il faut l’importer.
Donc la capacité de stockage est quelque chose qui est très important, une des infrastructures clés dans la chaîne de valeur. On peut multiplier, il y a aussi les pistes rurales, il y a un certain nombre de choses qui sont importantes pour avoir cette approche chaîne de valeur. Vous avez parlé de la transformation des produits agricoles, que ce soit en boissons ou autre chose, il faut de l’énergie, il faut un certain nombre de choses. Aujourd’hui, elles ne sont peut-être pas disponibles par rapport aux besoins. Notons également que le secteur agricole et le monde agricole dans nos pays est essentiellement constitué par les petits producteurs. Et quand on dit petit, ce n’est pas péjoratif, c’est par rapport à la taille des exploitations. Ils constituent la grande majorité des acteurs du secteur agricole et du secteur de l’élevage, de la pêche, première raison pour laquelle ça revient souvent. Deuxième raison, c’est qu’en réalité, on parle de jeunes et de femmes. Si on regarde la plus grande concentration de jeunes et de femmes, c’est dans le monde agricole. Troisième raison, c’est que pour réussir la bataille de l’emploi, pour réussir la bataille de la sécurité alimentaire, et in fine, la bataille de la cohésion sociale et de la paix, on doit trouver des solutions pour permettre à la grande majorité de nos frères et sœurs qui sont dans le monde agricole à avoir, à augmenter la productivité, dont les revenus pour non seulement la subsistance, mais aussi le développement.
Comment la Sfi compte accompagner la mise en œuvre de l’agenda 2050 ?
Alors, la Sfi et le groupe de la Banque mondiale sont en train de développer une nouvelle stratégie pays. Nous développons tous les 4 ou tous les 5 ans une stratégie pays. Nous avions délibérément attendu que le processus électoral soit finalisé, et qu’on puisse développer une stratégie qui est en ligne avec les orientations des autorités. Effectivement, notre stratégie qui est en moyen terme sur 9 ans est parfaitement alignée avec les objectifs de la vision 2050. Aujourd’hui, et je sais que c’est une préoccupation, et nos collègues de la Banque mondiale et du Fonds monétaire et d’autres y travaillent, effectivement aujourd’hui il y a une situation économique, financière, difficile. Mais comme la stratégie 2050 l’a dit, nous avons aussi une approche et une stratégie de développement des chaînes de valeurs agricoles, des pôles industriels au cœur de cette stratégie. Nous sommes exactement en phase avec le nouveau plan stratégique 2050 du gouvernement.
Demba DIENG