La filière cotonnière africaine est à la croisée des chemins. Entre les aléas climatiques, la concurrence internationale et la nécessité d’une plus grande valeur ajoutée, Papa Fata Ndiaye, Directeur général de la Société de développement et des fibres textiles du Sénégal (Sodefitex) propose des pistes de réflexion pour assurer la pérennité et la prospérité de l’or blanc africain.
Pouvez-vous nous rappeler les objectifs principaux qui ont motivé l’organisation de ces journées annuelles de l’Association cotonnière africaine ici à Dakar?
Le Sénégal a l’honneur d’accueillir pendant trois jours les journées annuelles de l’Aca. Cette association est un regroupement essentiel de tous les producteurs de coton africain, mais aussi des autres acteurs qui gravitent autour de cette matière première si spécifique. Créée en 2002, sa mission première est de défendre les intérêts du coton africain, d’unifier la voix des sociétés cotonnières et de favoriser une réflexion commune sur les défis qui se posent à nos différentes structures. Après Accra il y a deux ans et Abidjan l’année dernière, nous voici à Dakar pour une discussion approfondie sur l’avenir de nos filières cotonnières.
Vous parlez de défis. Justement, quel est l’état des lieux actuel de cette filière en Afrique, et plus particulièrement au Sénégal et quelles sont les principales tendances que vous observez ?
La filière cotonnière a effectivement traversé des périodes complexes ces dernières années. Nous avons été confrontés aux conséquences directes du changement climatique, mais aussi à une concurrence accrue de l’arachide, exacerbée par une intervention, disons, moins encadrée de certains acteurs. Cela a malheureusement entraîné un désengagement de certains producteurs, attirés par la valorisation importante qu’a connue l’arachide, la rendant temporairement plus compétitive que le coton.
« Cette année, nous enregistrons une croissance notable de 20% de notre production, passant de 13.000 à 15.500 tonnes. »
Quels en sont les premiers résultats ?
Nous avons eu la satisfaction de voir certains producteurs revenir vers le coton. Cette année, nous enregistrons une croissance notable de 20% de notre production, passant de 13.000 à 15.500 tonnes. Et nos ambitions sont claires. Il s’agit d’atteindre 25.000 tonnes dès la prochaine campagne. C’est une progression encourageante, mais vous soulignez que cela reste en deçà du potentiel industriel. Quels sont les objectifs à plus long terme pour le Sénégal ? Notre potentiel industriel installé, au niveau de la Sodefitex, tourne autour de 65.000 tonnes. Nous avons une vision à l’horizon 2029 où, si les investissements structurants sont mis en œuvre, nous pensons réaliste d’atteindre les 100.000 tonnes de coton. Cependant, il est crucial de rappeler que le Sénégal ne sera jamais un producteur de la taille du Bénin, du Burkina Faso ou du Mali, où le coton est une véritable priorité nationale, comparable à l’importance de l’arachide ici.
En parlant de priorités, quels sont selon vous les défis les plus urgents à relever pour le Sénégal et, de manière plus générale, pour les pays africains producteurs de coton ?
Pour l’ensemble des pays africains, la priorité est d’améliorer les rendements agricoles. Ils sont encore trop bas sur notre continent. En Afrique de l’Ouest et du Centre, nous tournons autour d’une tonne de coton par hectare, contre 4 à 5 tonnes au Brésil et plus de 10 tonnes en Australie.
Quelles sont les conséquences directes de ces faibles rendements pour les producteurs ?
Dans ces conditions, il est difficile pour nos producteurs de vivre confortablement de leur travail. Le prix au producteur est important, certes, mais c’est le niveau de rendement qui détermine la rentabilité quotidienne de l’exploitation. Plus le rendement est élevé, plus le revenu de l’agriculteur augmente.
Comment comptez-vous y parvenir ?
Aujourd’hui, l’une des problématiques majeures de nos filières est précisément celle de l’accroissement des rendements. Cela passe par un renforcement du financement pour les intrants de qualité, l’adoption de meilleures pratiques agricoles et la recherche de variétés plus performantes et résistantes. Il faut souligner que la filière cotonnière a cette particularité d’être structurée pour garantir un débouché à l’ensemble de la production. On n’entend jamais parler de problèmes de commercialisation pour le coton, car les sociétés s’engagent à tout acheter.
Au-delà des rendements, quels sont les autres obstacles majeurs que vous identifiez ?
Il y a d’autres aspects cruciaux à considérer, notamment la protection sanitaire des cultures. Si vous avez suivi l’actualité, vous savez qu’il y a deux ans, des attaques parasitaires importantes ont fait chuter la production ouest-africaine de plus de 40%. Il est donc impératif de garantir une protection efficace du cotonnier. Par ailleurs, nous devons résolument progresser vers la mécanisation de la culture. Elle reste encore très peu mécanisée, et des étapes comme les traitements phytosanitaires et la récolte représentent des contraintes majeures pour nos agriculteurs.
Et qu’en est-il du prix payé aux producteurs et où se situe le Sénégal par rapport aux autres pays africains ?
Actuellement, en Afrique, le prix au producteur du coton avoisine les 300 FCfa le kilogramme. C’est le cas au Bénin et au Togo. Au Mali, on est autour de 295 FCfa, et au Burkina Faso, à 325 FCfa le kilo. Au Sénégal, nous sommes à 350 FCfa. C’est le prix au producteur le plus élevé de toute l’Afrique, ce qui représente un avantage considérable pour nos agriculteurs.
Le coton africain ne représente que 15% de la production mondiale. N’est-ce pas une part modeste, et quel est le principal défi pour accroître cette présence sur le marché global ?
C’est une part significative. Il est vrai que ces dernières années, nous avons vu émerger un concurrent de taille pour le coton africain, comme par exemple le Brésil. Ce pays a une marge de progression impressionnante et, malheureusement pour nous, il commercialise sur les mêmes marchés que nos sociétés cotonnières, ce qui crée une offre plus abondante et tend à faire baisser les cours mondiaux. Nous savons que nos sociétés peuvent être fragiles face aux aléas climatiques, mais aussi face à des cours mondiaux bas et une parité du dollar défavorable.
Cette concurrence brésilienne ne crée-t-elle pas une forme d’injustice structurelle, et comment envisagez-vous de corriger cela?
Cette injustice structurelle est précisément à l’origine de la création de l’Association c Africaine. Elle a fait suite à la plainte déposée auprès de l’Omc, avec le soutien d’autres pays. Des injustices, il y en aura toujours, mais notre réponse doit être collective et proactive. Comme je le disais, nous devons augmenter nos rendements, accroître considérablement notre production, mais surtout, transformer localement notre coton. Tant que nous resterons exposés aux fluctuations des cours mondiaux et du dollar, nous serons toujours dépendants des acheteurs de coton brut. Il est impératif de trouver des moyens de valoriser notre production sur place pour créer de la valeur ajoutée, générer des emplois et réduire notre dépendance aux exportations de matières premières.
Justement, qu’est-ce qui est fait concrètement au Sénégal pour avancer vers cette transformation, alors que ce n’est pas la direction qui semble être privilégiée pour le moment ?
Dans l’agenda de transformation du Sénégal à l’horizon 2050, la valorisation et la transformation du coton occupent une place de choix. Aujourd’hui, on peut affirmer que c’est une orientation majeure du gouvernement sénégalais.
Propos recueillis par Pathé NIANG