Ancien émigré ayant passé trois décennies en Europe, Pape Guèye, formé à l’école coranique de son village, est aujourd’hui à la tête de Temey Agro. Installée dans la commune de Mbane, son entreprise agricole exploite plusieurs centaines d’hectares et emploie une centaine de personnes.
Le matin du 28 juin 2025, l’air est doux à Temey (commune de Mbane, département de Dagana). L’atmosphère tranquille contraste avec l’intense activité qui règne sur un vaste périmètre agricole. Au centre de ce ballet rural, une silhouette familière se distingue : celle de Pape Guèye, bonnet solidement vissé sur la tête, téléphone collé à l’oreille, enchaînant les appels. Sous sa hutte, légèrement gonflée par la brise matinale, l’homme dirige les opérations avec l’assurance de celui qui connaît ses terres sur le bout des doigts. Ce jour-là, c’est une récolte particulière : une cinquantaine d’hectares de patate douce arrive à maturité.
Derrière le tracteur, une chaîne humaine s’active. Composée en majorité de femmes, l’équipe ramasse les tubercules déterrés par la machine. À genoux ou penchées, elles les déposent dans des bassines, qui sont ensuite vidées dans des bennes. Ces dernières sont dirigées vers le point de dépôt final, où une autre équipe prend le relais pour les ensacher avant leur chargement dans de petits camions. À l’autre bout du périmètre, un vaste champ de carottes s’étend à perte de vue. D’un vert vif et bien aligné, il arrive à maturité, et sa récolte est prévue dans les jours suivants.
Après près de trois décennies passées en Europe, Pape Guèye a fait le choix de s’installer au village de Temey, dans la commune de Mbane, pour se lancer dans l’agriculture. « J’ai vécu 30 ans en Europe, notamment en Italie, en France et en Allemagne. Avec mes associés, nous avons décidé de créer la société Temey Agro Suarl », confie-t-il. Grâce aux démarches engagées, l’équipe a obtenu près de 1.000 hectares pour développer son projet agricole. Ce retour aux racines symbolise l’engagement de la diaspora dans le développement local.
Un self-made man Sur les terres de Temey Agro, Pape Guèye cultive une gamme variée de produits agricoles : pomme de terre, oignon, patate douce, carotte, arachide, igname. Des cultures adaptées aux besoins du marché local et régional. « Pour l’instant, nous avons mis en place 30 hectares avec un système d’irrigation au tourniquet, en plus de trois pivots sur 100 hectares », explique-t-il.
L’installation de Temey Agro Suarl a commencé à transformer le quotidien des habitants. Une vingtaine de jeunes du village ont été recrutés dans un premier temps pour les travaux de préparation des sols et de mise en culture. À terme, l’entreprise ambitionne de créer plus d’une centaine d’emplois directs et indirects. « La venue de Pape est une bénédiction. Non seulement il crée des emplois, mais il participe au développement du village », témoigne un habitant de Temey.
Dans son entrepôt, le natif de Keur Kodé Alassane, né en 1962 dans la région de Louga, ne cache pas sa fierté. Entouré de ses équipements dernier cri, il présente avec assurance le fruit de lourds investissements. « Notre dernière machine nous a coûté 800 millions de FCfa. Nous avons investi dans du matériel agricole de pointe pour garantir une production optimale. Rien que cet entrepôt a nécessité plus de 300 millions de FCfa, sans compter les sept tracteurs que nous possédons », explique-t-il.
Temey Agro est devenue une bouffée d’oxygène pour de nombreuses familles du village. L’entreprise emploie une soixantaine de personnes, en majorité des jeunes et des femmes du village, surtout en période de récolte. « En revenant au pays, je voulais montrer qu’on peut réussir ici. L’agriculture, si elle est bien structurée, peut nourrir des centaines de foyers et réduire l’exode rural », soutient Pape Guèye. La diaspora comme levier de développement L’initiative de Pape Guèye s’inscrit dans une dynamique plus large : celle d’un retour progressif de membres de la diaspora désireux d’investir au Sénégal. Pour lui, c’est une question de responsabilité. « Nous avons appris beaucoup en Europe. Il est temps de mettre ces compétences au service de notre pays. L’agriculture est un secteur stratégique et, avec les bonnes conditions, elle peut être un véritable moteur de croissance », témoigne-t-il.
De plus en plus de Sénégalais de la diaspora envisagent un retour au pays avec l’ambition de contribuer activement au développement national. Le secteur agricole, en particulier, les attire, conscients de son potentiel et de la nécessité d’œuvrer pour la sécurité alimentaire, la création d’emplois et la croissance économique. Cependant, le parcours n’est pas sans obstacles. Selon Pape Guèye, le principal frein demeure l’accès au foncier. « Malgré notre volonté et nos moyens, nous faisons face à des lenteurs administratives et à des blocages qui découragent beaucoup de nos compatriotes », fait-il savoir.
D’après lui, l’État doit jouer un rôle plus proactif pour encourager ces initiatives, en simplifiant les procédures d’accompagnement à la création d’entreprises et en mettant à disposition des terres agricoles. Au Sénégal, les terres arables offrent une belle opportunité de réussite pour les expatriés qui souhaitent investir dans le secteur agricole. L’aventure de Pape Guèye illustre une réalité plus vaste : celle d’une diaspora prête à s’engager, à condition qu’on lui en donne les moyens. Une opportunité à saisir pour un développement endogène et durable du Sénégal.
Ibrahima MBAYE (Correspondant)