Elle s’est fait un nom, dans un milieu jadis réservé aux hommes. La trentaine, Aminata Ndiaye a redonné une seconde vie au « Tapalapa », ce pain traditionnel sénégalais très apprécié pour ses qualités nutritives. À Ndioum, dans le département de Podor, celle que l’on appelle affectueusement Bodiel tente de perpétuer la tradition, malgré les obstacles et les aléas de la vie.
Dans les ruelles vibrantes de Duppo, un quartier de Ndioum, il suffisait de suivre l’odeur alléchante du pain chaud pour tomber sur la petite boulangerie de Bodiel. Aminata Ndiaye, de son vrai nom, y faisait naître chaque matin des pains dorés, des gâteaux savoureux et surtout, beaucoup d’espoir. Fille d’un boulanger passionné qu’elle a perdu très jeune, Bodiel a repris le flambeau avec détermination, dans un métier encore largement masculin.
Avec ses mains habiles et son sourire toujours présent malgré les épreuves, Bodiel a su réinventer le fameux « tapalapa », ce pain traditionnel sénégalais, en y ajoutant sa touche personnelle. Sa boulangerie n’était pas qu’un commerce. C’était un lieu de lien social, un repère dans le quartier.
« C’est en 2012 que j’ai appris ce métier de mon défunt papa. Mais c’est seulement après son décès que j’ai commencé à le pratiquer. Au début, je faisais uniquement des gâteaux. Par la suite, j’ai eu cette inspiration de moderniser le tapalapa. Et les gens apprécient vraiment », souffle-t-elle.
Une inspiration venue d’ailleurs qui commence à porter ses fruits. Pour se différencier des autres acteurs du secteur, Bodiel ajoute du lait à son pain. Un élément de taille qui donne plus de couleur et de goût à son produit. « Les gens aiment ce qui est bien fait. Le lait est un peu cher, mais c’est quand même nécessaire dans mes activités. Je dois serrer la ceinture pour en trouver », explique la jeune femme.
Une femme au milieu des hommes
Mariée et mère de trois enfants, Bodiel doit jongler entre son foyer et son lieu de travail. Chaque matin, elle se lève très tôt, prépare les enfants, avant de retrouver son four. C’est le début d’une longue et harassante journée pour cette brave dame, très tôt tournée vers l’entrepreneuriat. « Les gens me disent souvent que ce n’est pas un métier pour les femmes. Mais je ne vois pas les choses ainsi. Il n’y a pas de sot métier. La femme ne doit pas seulement rester à la maison à ne rien faire. Le plus important, c’est de gagner honnêtement sa vie », raconte-t-elle.
Orpheline de père très jeune, Aminata a toujours conservé un lien fort avec la mémoire de celui qui lui a transmis le goût du pain et la rigueur du métier. « Mon père était boulanger très connu dans la zone. Il me disait souvent que le pain, c’est comme la vie. Il faut le pétrir avec patience et lui laisser le temps de lever », raconte-t-elle.
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À force de persévérance, elle a appris le métier. Souvent seule, parfois, sous le regard sceptique de ceux qui pensaient que la boulangerie n’était pas une affaire de femmes. Mais Bodiel a tenu bon. Son “tapalapa revisité”, pain traditionnel modernisé avec des ingrédients locaux et des méthodes artisanales, s’est rapidement fait une place. Même ceux qui n’avaient pas les moyens repartaient toujours avec du « Tapalapa » chaud.
« Quand je n’avais pas de quoi payer, elle me laissait toujours repartir avec une baguette. Elle me disait toujours de payer dès que j’en aurais les moyens. Ce n’est pas juste une vendeuse, c’est une sœur pour nous tous », confie cette habitante du quartier et mère de trois enfants. À côté du « Tapalapa », qui est tant apprécié, Bodiel offre d’autres délices. « Les gens me connaissent grâce au pain. Mais je prépare des madeleines et des gâteaux. Les gens me sollicitent parfois quand ils ont des évènements comme les mariages, les baptêmes ou les anniversaires », renseigne-t-elle.
Un coup dur, mais pas un abandon
Mais voilà que le destin en a décidé autrement. Le four central, véritable colonne vertébrale de son activité, s’est effondré brutalement. Depuis, c’est une course contre la montre et contre la fatigue. Bodiel doit marcher plusieurs kilomètres pour accéder à un four prêté dans un quartier éloigné. Une solution de fortune, coûteuse et épuisante, qui ralentit sa production et fragilise son gagne-pain.
« Là, je travaille dans un four appartenant à un parent. Mais ce n’est pas facile car lui-même est boulanger. Chaque jour, il attend que je termine pour commencer son travail », informe la jeune boulangère.
Pourtant, Bodiel n’a jamais cessé d’y croire. Elle se bat chaque jour, non seulement pour son avenir, mais pour faire perdurer un savoir-faire hérité de son père, pour servir sa communauté. Aujourd’hui, elle lance un appel sincère aux mécènes, associations, collectivités et à toute personne de bonne volonté.
« Ma plus grande préoccupation reste mon four qui est hors d’usage. La vie est difficile et nous avons les charges de la famille à supporter. À ce rythme, il me faudra encore des années pour pouvoir le remettre sur pied », avance-t-elle.
Bodiel ne baisse pas les bras, mais elle sait qu’elle ne pourra pas continuer longtemps ainsi, sans un vrai soutien. Son objectif : réparer ou reconstruire son four et redonner vie à son activité.
« Ce n’est pas la pitié que je cherche. C’est une main tendue pour continuer à travailler. Donnez-moi un four et je vous rendrai du bon pain », a ajouté la mère de famille. Derrière le combat individuel de cette brave dame, il y a bien plus qu’un commerce. Il s’agit d’une mère de famille qui porte un héritage, un savoir-faire local, une tradition culinaire à préserver.
Mamadou THIAM ( Correspondant)


