Le 28 novembre 2024, le gouvernement du Sénégal a officiellement lancé la candidature d’Amadou Hott pour la présidence de la Banque africaine de développement (Bad). Quelles sont ses chances ? Comment se déroule le processus électoral ? Quel est le poids des actionnaires régionaux et non régionaux ? Pour éclairer le débat, « Le Soleil » a requis l’analyse de deux experts : Maguatte Wade, un ancien de la Bad, et Magaye Gaye, ancien cadre à la Banque ouest africaine de développement (Boad).
À travers la candidature d’Amadou Hott, le Sénégal qui a eu « la meilleure présidence de la Bad sous Babacar Ndiaye » a « des chances » de retrouver ce poste stratégique. C’est la conviction de Maguatte Wade. Ayant passé plus de 25 ans à la Bad comme patron de la communication, l’homme a été de toutes les campagnes et connaît donc bien les rouages de cette institution. Pour l’économiste sénégalais Magaye Gaye, ancien cadre à la Banque ouest africaine de développement (Boad), l’expérience d’Amadou Hott, un « homme du sérail », constitue un atout important pour qui connaît la complexité et la lourdeur des procédures des banques de développement. Au-delà de cet aspect sur l’expérience interne, ajoute-t-il, M. Hott semble également avoir le profil nécessaire pour comprendre les enjeux qui tournent globalement autour de la conduite des projets, de la mobilisation des ressources et du management dans un environnement professionnel multiculturel qui sont des activités clés dans des institutions internationales comme la Bad. Amadou Hott cumule, en effet, une vingtaine d’années d’expérience dans des domaines, tels que le financement structuré, la gestion de fonds souverains, la banque d’investissement, la levée de fonds, les infrastructures et le développement de solutions énergétiques intégrées. L’âge d’Amadou Hott, la cinquantaine, est aussi un atout important, selon Magaye Gaye, rappelant que dans ce genre d’institution de financement du développement, le rythme de travail est soutenu et peut aller de 12 à 15 heures par jour sans oublier les nombreux voyages d’affaires.
La compétence ne suffit pas
Toutefois, souligne Maguatte Wade, le talent et l’expérience ne suffisent pas pour être élu. « Il faut une démarche concertée, un lobbying diplomatique, politique, médiatique et relationnel très intense pour y arriver », dit-il. En effet, l’élection du président de la Bad obéit à un processus « complexe », mêlant lobbying, relations d’États et bataille médiatique. La Bad compte 81 pays membres, dont 54 régionaux (africains) et 27 non régionaux. À l’image des autres institutions multilatérales, l’élection du président de la Bad dépend du poids des actionnaires. Le plus gros actionnaire, le Nigeria, détient 9 % des voix, suivi des États-Unis. « Il y a une vingtaine de pays qui détiennent la majorité des actions. Et dans ce lot, si on n’a pas le soutien des cinq grands ou des 10 premiers, on n’a aucune chance », analyse Maguatte Wade. Autrement dit, il ne s’agit pas simplement de réunir le plus grand nombre de pays, mais les plus influents. En tout état de cause, observe Magaye Gaye, rien n’est encore joué. « Tout est une question de lobbying, de force de frappe diplomatique et de consensus », dit-il. D’après Maguatte Wade, le Sénégal peut capitaliser sur la « révolution systémique » que constitue l’élection de Bassirou Diomaye Faye et le leadership d’Ousmane Sonko « qui porte l’espoir de l’Afrique de demain » pour porter la candidature d’Amadou Hott. « Le Sénégal est un pays qu’on regarde, qu’on écoute et auquel on prête une très grande attention en Afrique. Maintenant, il faut voir comment capitaliser cela pour imprimer un leadership panafricain », analyse-t-il. Pour les nouvelles autorités sénégalaises, l’enjeu est de se positionner sur l’Afrique, profiter du leadership du gouvernement pour prendre la présidence de la Bad et « révolutionner » le continent comme elles sont en train de le faire au Sénégal. « Si Ousmane Sonko s’y met, on a des chances », croit savoir M. Wade. Cependant, souligne-t-il, dans la tradition, ce n’est pas un candidat qui bénéficie du soutien d’un gouvernement, mais c’est un gouvernement qui veut le poste et présente son candidat. C’est pourquoi, dit-il, le gouvernement du Sénégal doit « présenter la candidature d’Amadou Hott et non la soutenir ». La nuance est importante. En effet, l’élection du président de la Bad obéit à « un processus complexe » mêlant lobbying et intenses tractations diplomatiques entre pays. « Il faut que le gouvernement porte cette candidature et se mette devant avec un comité de campagne composé de personnes qui sont rodées au processus (…) Il y a une différence entre prendre son bâton de pèlerin et aller à la rencontre des chefs d’Etat et avoir le lobby de l’exécutif politique de l’Afrique et du monde », indique Maguatte Wade, insistant sur l’importance d’une implication au plus haut niveau étatique.
Une présidence tournante selon les régions ?
La fameuse règle non écrite que l’on évoque souvent et selon laquelle la présidence doit être tournante en fonction des régions joue-t-elle contre Hott ? « Le fait que le président sortant, Akinwumi Adesina, soit un ressortissant de l’Afrique de l’Ouest pourrait objectivement être de nature à rendre un peu plus compliquées les chances d’Amadou Hot », estime Magaye Gaye. Il rappelle que jamais dans l’histoire de l’institution, deux présidents issus d’une même zone géographique ne se sont succédé, exception faite de la période 1979-1980 où un président intérimaire d’origine malawite avait passé le témoin à un Zambien. Mais, pour Maguatte Wade « ça ne se joue pas comme ça ». « Ce qui compte, encore une fois, dit-il, c’est d’avoir le soutien des actionnaires majoritaires ». D’ailleurs, le Sénégal doit impérativement obtenir le soutien public du Nigeria pour donner du poids à la candidature de Hott, estime-t-il. Un autre actionnaire non négligeable qu’il faut courtiser rapidement, c’est l’Égypte. M. Wade se souvient, lors de l’élection de Babacar Ndiaye, Cheikh Fall, alors Secrétaire général de la Bad, avait effectué deux fois le déplacement au Caire avec pour rencontrer Amr Moussa, le chef de la diplomatie égyptienne de l’époque, et Boutros Boutros Ghali (ancien Secrétaire général de l’Onu). En effet, la Bad est une institution où ce sont les plus forts qui décident. Et personne n’a jamais réussi à être élu à la présidence de la Bad sans avoir eu le soutien de ces pays influents. Il faut, dit-il, avoir des influenceurs dans ces États pour avoir l’oreille des chefs d’État. L’autre enjeu concerne la bataille médiatique au niveau internationale pour exposer le candidat.
Les défis du futur président
Le futur président de la Bad sera confronté à de nombreux défis dans un environnement international difficile. Le premier concerne la mobilisation de ressources, notamment concessionnelles. « Le futur président de la Bad devrait avoir suffisamment d’entregent et d’autorité, mais aussi un réseau relationnel dense pour pouvoir convaincre les grands actionnaires et les grands donateurs internationaux », explique Magaye Gaye, précisant que la banque gagnerait aussi à avoir un profil qui puisse mettre la question de l’innovation financière au cœur de la réflexion stratégique. Le deuxième grand défi, indique-t-il, porte sur la souveraineté alimentaire, un enjeu stratégique pour le continent à la lumière des récents chocs (Covid-19, guerre en Ukraine). Le financement de l’agriculture et la maîtrise de l’eau sont aussi des préoccupations majeures à résoudre par le prochain président de la Bad, selon M. Gaye. La transition énergétique, l’industrialisation, la formalisation de l’économie et surtout la lutte contre la pauvreté, la mission première de la banque, sont également des chantiers majeurs pour le prochain président de la Bad. Amadou Hott qui a cité le secteur privé comme l’une de ses priorités, s’il est élu, devrait s’inspirer de Babacar Ndiaye, « le plus fringant et le plus éminent des présidents de la Bad », conseille Maguatte Wade. C’est lui, rappelle-t-il, qui a introduit le secteur privé à la Bad et ouvert le capital aux non régionaux en 1982. M. Wade préconise aussi de réformer la gouvernance de la Bad en brisant l’omerta qui l’entoure.
Comprendre le processus d’élection
Tout candidat au poste de président de la Banque africaine de développement doit être présenté, avant la date limite fixée par le Conseil des gouverneurs pour le dépôt des candidatures, par le gouverneur du pays membre régional dont il détient la nationalité et être parrainé par un ou plusieurs gouverneurs de pays membres régionaux. La candidature de Babacar Ndiaye (1985-1995) avait ainsi l’onction du Maroc, en plus du Sénégal. Et tout récemment, la candidature du Nigérian Akinwumi Adesina avait été fortement soutenue par le président Macky Sall du Sénégal, rappelle Magaye Gaye. L’élection du président de la banque a lieu à l’assemblée annuelle du Conseil des gouverneurs la plus proche du terme du mandat du président sortant. La prochaine élection est fixée au 29 mai 2025. Le Comité directeur arrête et publie la liste des candidats dûment enregistrés, qui ont pleinement satisfait aux conditions relatives au dépôt des candidatures, et communique aux gouverneurs un rapport complet contenant les indications relatives à de telles candidatures, au moins 30 jours calendaires avant la date fixée pour l’élection. Ce rapport doit préciser le nom, la nationalité du candidat, le pays du gouverneur qui présente le candidat et le nom du ou des gouverneur(s) qui parraine(nt) le ou les candidat(s). Le Conseil d’administration arrête l’état des pouvoirs de vote devant servir au décompte des suffrages le dernier jour ouvrable du mois qui précède immédiatement le mois durant lequel se déroule l’élection du président. Seuls les paiements au titre des souscriptions dont la banque est effectivement créditée sont pris en considération en matière d’attribution des voix. Conformément à l’article 36 de l’Accord portant création de la Bad, est élu président le candidat qui obtient à la fois au moins 50,01 % de voix attribuées à tous les pays membres régionaux et au moins 50,01 % des voix attribuées à tous les pays membres, régionaux et non régionaux. Le président du Conseil des gouverneurs proclame élu président de la Banque africaine de développement le candidat ayant obtenu la double majorité requise.
Les candidats en lice
En plus d’Amadou Hott, à ce jour, cinq autres candidats se sont officiellement lancés dans la course. Il s’agit du ministre béninois des Finances Romuald Wadagni, du Tchadien Abbas Mahamat Tolli, ancien gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), le Mauritanien Ousmane Kane, l’économiste zambien Samuel Maimbo, et la Sud-Africaine Bajabulie Swazi Tshabalala. Mais, comme l’ont rappelé Maguatte Wade et Magaye Gaye, d’autres candidats pourraient se signaler d’ici à janvier 2025, date de dépôt officiel des candidatures. M. Gaye rappelle que depuis la création de la Bad, quatre des cinq zones économiques régionales, à savoir l’Union du Maghreb arabe (Uma), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (Sadec), ont vu au moins un de leurs ressortissants occuper le poste, à l’exception de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac).
Par Seydou KA