Amath Ndiaye, Professeur à la Faculté des Sciences économiques et de gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, apporte un regard d’expert sur l’économie sénégalaise. Fort de plus de 38 ans d’expérience dans l’enseignement, la recherche et la consultance, il a également été Visiting Scholar (chercheur invité) au Fmi et a collaboré avec des institutions majeures comme la Banque mondiale et la Banque africaine de développement. C’est avec cette perspective avisée qu’il décrypte le contexte financier complexe du Sénégal, notamment les défis des négociations en cours avec le Fmi.
Aujourd’hui, l’économie du Sénégal est à un tournant avec un débat interminable sur la dette. Quelle lecture faites-vous de cette affaire ?
Le Sénégal est confronté à une situation où le service de la dette est devenu insoutenable, non seulement parce qu’il est élevé, mais surtout parce qu’il coûte cher et étouffe l’économie.
En 2025, près de 16 % des recettes fiscales ont été consacrées au paiement des intérêts. Et ces intérêts ont tendance à augmenter plus vite que le rythme de la croissance économique ; ce qui crée un effet boule de neige.
Dans ces conditions, la dette devient un frein à l’investissement public, à la croissance et à la réponse aux urgences sociales. Le débat doit être traité avec lucidité, sur des bases techniques et non émotionnelles.
Le Sénégal semble privilégier l’option de la « gestion active de la dette » pour sortir de ce problème…
La gestion active de la dette peut offrir des avantages à court terme comme une amélioration de la trésorerie, l’allongement des maturités et la limitation des tensions immédiates.
Cependant, je ne pense pas que le Sénégal ait fait le choix d’une gestion optimale de sa dette dans la mesure où l’option de la restructuration est écartée. Or, lorsque le service de la dette devient insoutenable, la restructuration est une solution technique reconnue, et non un aveu d’échec. Sans restructuration ni réformes profondes, la gestion active risque surtout de repousser les difficultés plutôt que de les résoudre durablement.
Mais les discussions avec le Fmi ne bougent pas apparemment ?
Dans le contexte actuel, les pays en développement ont objectivement intérêt à collaborer avec le Fmi. Il joue un rôle de stabilisation, de catalyseur de financements et de garant de crédibilité vis-à-vis des partenaires internationaux. Collaborer avec le Fmi ne signifie pas abandonner sa souveraineté. Cela permet, au contraire, d’accéder à des financements concessionnels, de restaurer la confiance et d’enclencher les réformes nécessaires.
C’est pourquoi, dans mon livre (Ndlr : L’économie à la portée du grand public), j’ai jugé indispensable d’expliquer clairement le rôle du Fmi et de la Banque mondiale, au lieu de les diaboliser. Une bonne compréhension de ces institutions est essentielle pour un débat économique mature.
Pour en revenir au Sénégal, au moment où l’on craignait une cessation de paiement, l’État du Sénégal procède à des baisses des prix des hydrocarbures et bientôt de l’électricité. Comment est-ce possible ? Est-ce compatible avec les négociations en cours avec le Fmi ?
Ces baisses de prix sont contre toute attente, compte tenu des fortes tensions budgétaires actuelles et du plan d’austérité que le Sénégal devra inévitablement mettre en œuvre. Elles s’expliquent sans doute par des arbitrages conjoncturels à court terme et des considérations sociales. À court terme, cela reste compatible avec les discussions avec le Fmi. Le Fonds n’interdit pas des mesures de soutien au pouvoir d’achat, mais il sera très attentif à leur coût budgétaire, à leur caractère temporaire et à leur financement.
À moyen terme, ces baisses ne seront soutenables que si elles s’inscrivent dans une trajectoire budgétaire crédible et cohérente avec les engagements pris avec le Fmi.
Vous avez par le passé conduit le projet de monnaie unique de l’Union africaine. Pourquoi cela n’a-t-il pas marché ?
J’ai participé, au sein de la Commission de l’Union africaine, pendant 30 mois, avec un groupe de sept experts africains, à l’élaboration d’une stratégie de création d’une banque centrale africaine et d’une monnaie africaine. Même si nos recommandations ont été acceptées au niveau politique, elles n’ont malheureusement pas été mises en œuvre. Les raisons tiennent à un manque de volonté politique et à l’insuffisante sensibilisation de nos dirigeants sur l’importance d’une intégration monétaire africaine.
Cette expérience a été très instructive. Elle montre que l’intégration monétaire ne peut pas être construite sur l’émotion ou le symbole, mais sur des bases économiques solides. Les expériences des unions monétaires autour du franc CFA sont souvent mal connues et analysées avec beaucoup d’émotion et de préjugés. Pourtant, elles démontrent que l’intégration monétaire est possible dès lors qu’il existe un minimum de convergence économique et de solidarité. Mieux encore, l’intégration monétaire peut devenir un instrument d’accélération de l’intégration économique, notamment dans le cadre de la Zlecaf (Zone de libre-échange continental africaine), si elle est pensée de manière progressive, pragmatique et réaliste.
Pourquoi avez-vous senti le besoin de rendre « L’économie à la portée du grand public » ?
Ce livre est le fruit de mes 38 années d’expérience. J’ai toujours été frappé par le décalage entre l’importance de l’économie dans la vie quotidienne et la méconnaissance de ses mécanismes de base. La connaissance des concepts et mécanismes fondamentaux permet de faire converger les esprits, de rendre les acteurs économiques plus rationnels et plus productifs, et contribue ainsi à l’accélération de notre développement économique et social.
Dans cet esprit, il m’a semblé essentiel d’expliquer, plutôt que de diaboliser, le rôle d’institutions comme le Fmi ou la Banque mondiale, afin d’éclairer le débat public sur des bases objectives.
Propos recueillis par Oumar FÉDIOR

