«Faire payer moins à tous les Sénégalais, mais faire payer tous les Sénégalais ». C’est le pari du Premier ministre, Ousmane Sonko, lancé lors de sa déclaration de politique générale, à l’Assemblée nationale, le 27 décembre 2024. Les régimes successifs se sont heurtés à la faiblesse de la pression fiscale qui est de 19% en 2023, mieux que la moyenne de 14% dans l’Uemoa. Les difficultés de recouvrer l’impôt et d’élargir l’assiette fiscale trouvent leurs racines dans le passé colonial de nos États. À l’époque, la fiscalité était subie par les indigènes dans toute sa rigueur et était une sorte de domination exercée par les États coloniaux pour s’assurer de la soumission des vaincus. Dans la fourchette des prélèvements, figure « l’impôt de capitation ». Il était souvent collecté en espèces mais parfois en nature (bétail, céréales) par les chefs autochtones. Très zélés, ces derniers cherchaient coûte que coûte à mériter la confiance du colon en pressurisant les populations, n’hésitant pas à humilier publiquement ceux qui ne s’acquittent pas de cette charge. La fiscalité et le travail forcé (investissements pour la réalisation d’infrastructures telles que les routes, chemins de fer, ponts) permettaient au colon de faire supporter au colonisé une très grande partie du coût de la colonisation et de la mise en valeur des territoires. Selon un article publié par la revue The Conversation en 2022, les 18 anciennes colonies françaises d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne dont le Sénégal, les administrations coloniales ont prélevé l’équivalent de 9% du Pib de ces colonies en 1925 et 16% en 1955. L’impôt de capitation et le travail forcé représentaient, en 1925, la moitié des recettes publiques en Afrique subsaharienne francophone. Selon l’article, ces chiffres étaient supérieurs à la moyenne des pays non colonisés ayant le même niveau de revenu par habitant la même période. Dans les colonies britanniques, la « hut tax » (taxe à la case) obligeait les habitants, les ménages à payer en numéraire, en travail ou en nature aussi. On travaillait, souvent exclusivement, pour s’acquitter de ses obligations fiscales et s’éviter une punition. Après les indépendances, la pression s’est détendue progressivement, même si certaines taxes sont demeurées liées à cette période, mais le traumatisme est resté. L’impôt, qui était à l’origine source d’humiliations, quelle que soit la situation économique et sociale du moment, a continué, après les indépendances, à jouer son rôle dans le développement de nos jeunes États. Mais il faut reconnaître que les problèmes de gouvernance dans la gestion des deniers publics ont encore nui à la perception déjà négative de l’impôt, les citoyens ayant l’impression de payer non pas pour bénéficier de services publics adéquats (éducation, santé, routes, protection sociale…), mais pour enrichir une certaine caste. Aujourd’hui, il urge pour nos nouvelles autorités de réconcilier la fiscalité avec les contribuables afin que les citoyens soient assurés que leur argent sera utilisé pour le financement des services publics. Ceci passe par une sensibilisation pour en arriver à un civisme fiscal, défini par l’Ocde comme la « motivation intrinsèque à payer des impôts ». La société civile a aussi une partition à jouer à ce niveau. L’histoire a montré que l’impôt peut être source de révolte (c’est le cas au Kenya en juin 2024 avec l’alourdissement de la pression fiscale pour juguler un déficit budgétaire à 5,7%). D’où l’importance de la justice fiscale, qui consiste à faire de sorte que toutes les personnes et entreprises paient le montant d’imposition approprié. Or nos États ne sont pas toujours assez outillés pour lutter contre les pots-de-vin et déjouer les stratégies sophistiquées des multinationales qui préfèrent planquer leurs revenus dans les paradis fiscaux. Selon une étude de l’Ocde, en Afrique, la perception de la qualité et de la légitimité de l’administration fiscale joue un rôle décisif dans le civisme fiscal, confirmant l’existence d’un contrat social entre gouvernants et contribuables. Au moment où l’aide publique au développement commence à tarir et l’accès aux marchés de capitaux devient de plus en plus difficile pour un continent qui a besoin de 130 à 170 milliards de dollars par an pour ses investissements en infrastructures, la fiscalité doit venir à la rescousse. malick.ciss@lesoleil.sn
Par Malick CISS