Alors que les pays africains font face à des besoins financiers en constante augmentation, les ressources financières, tant publiques que privées, qui leur sont accessibles se réduisent, menaçant non seulement les perspectives de développement à long terme, mais également la stabilité de leurs économies. Quels impacts macroéconomiques et sectoriels la baisse de l’aide publique au développement des principaux bailleurs occidentaux pourrait-elle avoir sur les pays africains en général, et sur les pays les moins avancés en particulier ? Quelles réponses les pays concernés peuvent-ils apporter pour faire face à cette situation critique ?
Des réductions de financement significatives
Les besoins de financement de l’Afrique, nécessaires pour accélérer son processus de transformation structurelle1 (i.e. promotion d’activités plus productives, avec plus de potentiel pour créer des emplois décents) sont estimés à un peu plus de 402 milliards de dollars1. Or on note un déclin tendanciel à long terme des revenus budgétaires totaux des pays africains, rapportés au PIB, passant de 23.5 à 19.3 %, entre 2010 et 2023 ; et les transferts nets de ressources financières des économies en développement africaines vers leurs créanciers sont devenus négatifs depuis 20202.
L’aide publique au développement (APD) constitue donc le principal moyen dont disposent les pays les moins avancés (PMA) africains pour faire face à leurs besoins financiers. Mais l’aide mondiale a baissé de 7 % en 2024, et d’autres baisses sont annoncées (-9 à -17 % en 2025 selon l’OCDE4) (Iddri, 2025) ; les prêts de la Chine vers l’Afrique, notamment, ont diminué de 70 % entre 2018 et 20235.
Implications macroéconomiques
Les implications macroéconomiques de cette tendance à la baisse pourraient être considérables. L’espace budgétaire des pays africains, déjà très étroit, s’est en effet davantage rétréci : en 2024, sur les 54 pays du monde en développement consacrant plus de 10 % de leurs recettes budgétaires au paiement des intérêts de la dette, la moitié étaient africains (UNDP 2024). Ce qui réduit drastiquement les marges de manœuvre des États et leur capacité à financer le soutien à la croissance et les dépenses sociales. Par exemple, en 2024, les paiements d’intérêt par tête en Afrique6, ont représenté 70 USD, contre 39 USD pour les dépenses de santé et 60 USD pour les dépenses d’éducation. Ce qui les éloigne d’autant de l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD).
Impacts sectoriels
De récentes analyses ont révélé que les réductions de l’APD pourraient avoir des répercussions notables sur les pays africains, particulièrement ceux qui dépendent d’un nombre restreint de bailleurs7, 8. En 2023, l’APD totale des pays du Comité d’aide au développement (CAD) destinée à l’Afrique était étroitement corrélée aux montants déboursés par quatre bailleurs de fonds occidentaux ayant récemment annoncé des coupes importantes de leur aide (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne et France).
Comme le montre la figure ci-dessous, les pays les plus exposés à ces réductions sont l’Éthiopie, la République démocratique du Congo (RDC), la Somalie, le Sud-Soudan, le Mozambique, l’Ouganda, la Tanzanie, le Nigeria, le Kenya, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et l’Afrique du Sud. Cependant, l’impact sera plus important dans les PMA, en raison des crises humanitaires et de leurs contraintes et capacités budgétaires réduites.
Figure. Rapport entre l’aide américaine, allemande, britannique et française et l’APD totale reçue des pays du CAD en Afrique, 2023
Les organisations humanitaires et les agences des Nations unies seraient également fortement affectées par la baisse de l’APD, entraînant l’interruption de programmes liés à l’éducation, à la santé, à l’innovation et à l’accès à l’énergie. Dans le secteur de la santé, où l’on observe une forte concentration des financements, les États-Unis et le Royaume-Uni ont en 2023 assuré à eux seuls plus de 50 % des dépenses de l’Afrique pour les programmes de lutte contre le VIH, le paludisme et la tuberculose9. Des pays comme l’Éthiopie, la RDC, le Mozambique et le Sud-Soudan ont reçu des montants d’APD équivalant à plus de 25 % de leurs dépenses de santé nationales totales respectives au cours de la même année10. Dans ces pays, une suspension totale des programmes financés par l’USAID aurait d’importantes répercussions sur les systèmes de santé, poussant des milliers de professionnels de santé au chômage.
Les réductions de l’aide risquent également de compromettre les progrès en matière de transition énergétique et d’accès universel à l’énergie en Afrique. Cette situation est d’autant plus alarmante que le financement de l’énergie propre et abordable dans les PMA africains est soumis aux priorités d’un nombre restreint d’institutions de financement du développement et de bailleurs bilatéraux tels que les États-Unis (avec l’initiative Power Africa sous l’égide de l’USAID), le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne. Cela suggère que le retrait d’un petit nombre de ces acteurs pourrait se traduire par une baisse drastique du financement des projets liés à l’énergie dans la région, aggravant le profond déficit d’accès à l’énergie et, par conséquent, ralentissant le décollage économique et industriel dans les PMA.
Quelles pistes de rebond pour l’Afrique ?
Mais la baisse de l’APD n’est pas une fatalité pour l’Afrique, et les gouvernements disposent de plusieurs leviers pour financer le développement : le renforcement de la coopération Sud-Sud, la mise en place de nouveaux partenariats d’investissements mettant l’accent sur l’engagement des acteurs privés, la mobilisation de ressources domestiques, ainsi qu’un nouveau rôle pour l’APD.
Les pays africains doivent diversifier le paysage de la coopération au développement en renforçant les partenariats avec d’autres pays du Sud parmi lesquels la Chine, l’Inde, les États du Golfe persique et d’autres puissances moyennes comme la Corée du Sud et la Turquie. Ces partenariats (également avec l’Europe) devraient mettre l’accent sur les relations horizontales (d’égal à égal), à l’opposé des anciens schémas de dépendance et d’extraction, et promouvoir la participation de l’Afrique aux chaînes de valeur mondiales, ce qui nécessiterait des investissements dans la transformation locale des minerais, l’amélioration des réseaux routiers intra-africains et la fourniture d’énergie propre.
En outre, les investissements privés des pays développés, notamment dans le secteur de l’énergie, qui jusqu’à présent se sont généralement concentrés sur des projets liés aux combustibles fossiles, devraient être diversifiés11. Au niveau européen, les discussions sur ces nouveaux partenariats avec l’Afrique visent à proposer un nouvel ensemble d’alliances à long terme qui encourageront les investissements et favoriseront le développement économique local12.
Mais cette diversification des partenariats ne doit pas entraîner une plus grande complexité et une fragmentation plus prononcée de l’aide au développement. La mise en œuvre de plateformes nationales telles que les cadres de financement nationaux intégrés (INFF)13 aiderait les PMA africains à améliorer la coordination des acteurs du développement et des flux de financement, dont ceux liés au climat et à la biodiversité14.
La mobilisation des ressources domestiques (DRM en anglais) est en outre essentielle pour réduire la dépendance à l’APD et garantir l’appropriation des stratégies et des priorités de développement dans les PMA. Cependant, la capacité de mobilisation de recettes fiscales reste en dessous du seuil de 15 % du PIB dans les PMA africains. Les efforts pour améliorer ces performances devraient se concentrer sur l’amélioration des structures fiscales, de la conformité et de la mise en œuvre des politiques fiscales. Les PMA africains sont également confrontés à des environnements nationaux peu favorables (exacerbant l’informalité et réduisant l’assiette fiscale), à des flux financiers illicites (comprenant le blanchiment d’argent, la fraude fiscale et l’évasion fiscale) et à de faibles ratios impôts/PIB.
Des propositions visant à élargir l’assiette fiscale incluant notamment une taxation plus efficace des ressources naturelles, la suppression des subventions liées aux combustibles fossiles, et la formalisation du secteur informel15 devraient être proposées dans le cadre de la prochaine conférence internationale sur le financement du développement, qui se tiendra à Séville en juin 202516. Les gouvernements africains ont également la responsabilité de rationaliser les dépenses publiques, renforcer la transparence (notamment par l’utilisation de nouvelles technologies) et lutter contre la corruption. Au niveau international, des efforts en matière de réduction des flux financiers illicites et de la double taxation sont également nécessaires pour promouvoir la DRM.
Enfin, la baisse de l’APD nécessite également de reconsidérer les priorités pour l’aide disponible. Le narratif « réaliser plus d’impact avec moins de ressources (doing more with less) » impliquerait de donner la priorité aux domaines à fort potentiel, tels que ceux qui contribuent à renforcer la mobilisation des ressources domestiques et à promouvoir les investissements privés nationaux et étrangers (par exemple, à travers l’amélioration du climat des affaires) dans les PMA africains. Les programmes de soutien aux réformes administratives qui contribuent à renforcer la capacité des États à garantir et fournir des services publics de base devraient également être prioritaires. Cette capacité est en effet essentielle pour réduire la vulnérabilité des PMA à l’imprévisibilité des ressources extérieures. Cependant, il est essentiel de prendre en compte les contextes nationaux, car les besoins des pays peuvent varier.
Que retenir ?
La réduction de l’APD aura un impact macroéconomique significatif sur les PMA africains en particulier, affectant divers secteurs de développement, de la santé à l’éducation, en passant par l’accès à l’énergie et la lutte contre la pauvreté. Deux scénarios sont désormais possibles : le premier, où les volumes et les programmes d’aide reprennent complètement et augmentent même, y compris l’atteinte de 0,7 % d’APD dans le RNB (très peu probable), dans tous les pays ayant annoncé des coupes ; le second, où les donateurs réduisent drastiquement, voire coupent complètement, les programmes d’aide. Avec toutes les nuances de gris entre ces deux scénarios, les incertitudes sont massives et ont de graves conséquences, ce qui souligne la grande vulnérabilité des pays concernés, dans un contexte où l’imprévisibilité des ressources extérieures disponibles risque de s’accroître.
Il y a donc un enjeu déterminant pour ces pays, et pour les bailleurs et la communauté internationale, à identifier des pistes de réduction de cette vulnérabilité. Cela nécessite de stimuler le secteur privé et de promouvoir des activités plus productives, tout en renforçant la capacité des PMA à mobiliser des ressources domestiques. Cela implique également de repenser de façon globale la fonction et l’apport de l’APD.
Cette tribune a été publiée sur https://www.iddri.org