Le constat général fait par l’expert financier et consultant international en finance de marché Meissa Lô est que le développement économique des États africains est inhibé par des obstacles au financement notamment pour le secteur privé.
« Au Sénégal, avons-nous réellement un secteur privé assez robuste pour s’imposer ? », s’interroge M. Lô. Selon lui, si les acteurs décident, selon leur domaine d’activité, de constituer des fonds d’investissement dans le but de reprendre une partie des capitaux de certaines banques, ils arriveront à de grands projets. C’est à ce prix, dit-il, qu’ils auront un meilleur accès aux financements afin de booster leur croissance et leur développement, les rendant plus compétitifs. « Pour ces investisseurs sénégalais ou africains, acquérir ces filiales serait un moyen de faire face aux autres investisseurs accompagnés ou parrainés par leur pays afin de conquérir de plus amples parts de marché sur le continent », analyse M. Lô, citant l’exemple du Maroc, avec le groupe Attijari implanté dans plusieurs pays africains.
L’enjeu de contrôler le secteur bancaire local est d’autant plus crucial que le crédit au secteur privé a chuté en Afrique, passant de 56 % du Pib en 2007 à 36 % en 2022. Et pour les analystes de banques, le repli explique le ralentissement de la croissance des actifs économiques productifs et les retards accusés par le continent sur l’industrialisation. Ainsi, M. Lô considère que la balle est dans le camp des leaders politiques africains qui doivent accompagner la montée en puissance de leur classe moyenne ou de leurs champions nationaux. À son avis, le cas de l’homme d’affaires Bocar Samba Dièye est un bon exemple de champion national accompagné par une banque locale dans ses activités économiques et qui, par la suite, devient actionnaire dans une ou plusieurs de ces banques partenaires. Avec l’appui de l’Etat, M. Lô est convaincu que le secteur privé local est capable de reprendre toutes les filiales des banques étrangères qui sont sur le territoire.
Les vertus de « l’africanisation des banques »
Il n’y a aucun doute : l’acquisition des groupes bancaires par des acteurs locaux peut avoir un impact sur le renforcement de la stabilité économique, financière et sociale, estime Meissa Lô qui pense que l’entrée d’investisseurs locaux solides comme acquéreurs, peut améliorer la résilience du secteur, réduire les risques de faillite et renforcer la confiance des clients et investisseurs. « Lorsque certains acteurs économiques ont eu écho du rachat de la Bicis par le groupe Sunu, cela a forcément créé un sentiment d’appartenance chez eux dans cette banque et a facilité leur choix de travailler avec celle-ci. C’est un moyen de renforcer le patriotisme et la solidarité à l’égard de ces structures financières catalysatrices de business », pense-t-il. En plus, avec la reprise de ces filiales par des acteurs locaux, le top management devient plus sensible aux besoins de financements des opérateurs économiques et de l’État et sera ainsi plus enclin à débloquer des capitaux plus importants pour financer des projets d’infrastructure ou les besoins de trésorerie. Avec un regard neuf et une meilleure connaissance de l’économie locale, ces nouveaux actionnaires décideurs peuvent faciliter aux banques l’accès aux meilleures technologies à et de nouvelles pratiques bancaires digitalisées. « Il y aura aussi moins de risques de fuite des capitaux ou de rapatriement des bénéfices vers le siège des maisons-mères, limitant leur réinvestissement dans l’économie locale », analyse M. Lô. D. DIENG
Un contexte favorable
D’après Mohamed Niang, actuellement, les économies africaines ont besoin d’un secteur bancaire plus efficient, plus stable et plus performant, capable de soutenir les projets de développement des pays. Il espère que l’arrivée d’acteurs bancaires locaux mieux imprégnés des réalités locales permettra de surmonter la frilosité des banques vis-à-vis du secteur informel ou des Pme qui, pourtant, jouent un rôle crucial dans nos pays. « Alors que les banques étrangères sont souvent très réticentes à accorder des prêts sans garanties tangibles, les banques africaines ont tendance à mieux anticiper les besoins et accompagner les projets en s’adaptant à l’environnement de leurs marchés locaux », observe M. Niang. À son avis, le marché bancaire africain est jugé relativement risqué aux yeux des banques étrangères avec un décalage entre la réalité du risque et sa perception. Dans ce contexte, il faudra que cette nouvelle dynamique puisse avoir un impact réel et soutenable dans le financement de secteur clefs de nos économies. Ainsi, analyse-t-il, les banques africaines devront jouer un rôle fondamental dans le financement du développement à travers des projets structurants et des investissements stratégiques. « Ces banques deviennent des acteurs indispensables de la transformation économique de l’Afrique. Leur efficacité repose sur leur capacité à mobiliser des ressources importantes, à proposer des solutions financières adaptées et à catalyser les investissements », conclut Mohamed Niang.
Par Demba DIENG