Alors que les banques étrangères se retirent progressivement de l’Afrique, des acteurs locaux s’organisent pour reprendre ces filiales. Quels sont les enjeux de ce grand chamboulement ? Eléments de réponses dans ce dossier.
Ces dernières années, la tendance est à un désengagement de plusieurs banques étrangères du marché africain. Barclays et Bnp Paribas, Standard Chartered ont vendu leurs filiales africaines. Actuellement, la Société Générale au Maroc a été acquise par le Groupe Sanlam. Au Cameroun, la filiale française est quasiment récupérée par l’État. Pour Meissa Lô, expert financier et consultant international en finance de marché, le départ en cascade des banques étrangères d’Afrique, ces dernières années, s’explique par plusieurs facteurs économiques, stratégiques et réglementaires.
Il cite notamment la baisse de la rentabilité. « On a souvent tendance à oublier que ce sont des entreprises à capitaux et qu’elles ont des obligations de résultats. Si certaines filiales ne sont plus rentables aux yeux des actionnaires et du top management, leur fermeture ou délocalisation sur des marchés plus rentables est tout à fait logique », relève M. Lo, par ailleurs fondateur du think tank Millenium African Institute, Nations & Démocratie. L’autre facteur est lié à la concurrence accrue que leur livrent les banques locales et les fintechs ; ce qui réduit les marges bénéficiaires des grandes institutions étrangères. Un constat que partage Mohamed Niang, économiste, spécialiste conformité bancaire.
À son avis, l’essor des grands groupes bancaires panafricains, ces deux dernières décennies, induit un effritement des marges pour ces banques étrangères. Il relève aussi une profonde mutation géopolitique dans la relation entre l’occident et les pays africains qui impacte de façon significative l’environnement bancaire. Une réglementation robuste « On peut citer, en guise d’exemple, la volonté grandissante d’une souveraineté économique qui passe nécessairement par une promotion des banques africaines », explique Mohamed Niang. L’autre raison évoquée par Meissa Lô est liée aux contraintes réglementaires « devenues plus strictes », notamment avec les exigences de conformité internationales (comme celles du Gafi sur le blanchiment d’argent). « Les banques doivent investir davantage dans la mise en conformité, ce qui alourdit leurs coûts opérationnels », analyse-t-il.
Parallèlement, l’expert financier note une montée en puissance significative des banques locales, telles qu’Ecobank, Attijari Wafa Bank ou Standard Bank, qui se renforcent et couvrent mieux les besoins locaux. Ces groupes panafricains bénéficient d’une meilleure connaissance du terrain et s’appuient sur un réseau plus adapté. Meïssa Lô relève également la transition vers des modèles bancaires digitaux. « La digitalisation des services financiers favorise les acteurs locaux et les fintechs, qui peuvent offrir des services à moindre coût sans nécessiter une présence physique. Les banques étrangères, parfois moins flexibles, peinent à s’adapter à cette nouvelle donne », explique l’expert.
Abondant dans le même sens, Mohamed Niang considère que l’un des facteurs peut être le renforcement de la régulation des maisons-mères notamment par l’encadrement à travers des règles prudentielles plus strictes et une obligation de plus en plus renforcée d’allouer plus de fonds propres pour chaque risque pris, ainsi que sur la totalité des actifs. À ce titre, estime l’économiste, spécialiste conformité bancaire, la maîtrise des risques sur la base d’exigences renforcées et coercitives impacte considérablement les actifs en Afrique. Cependant, pour Meïssa Lô le retrait des banques étrangères ne signifie pas forcément un affaiblissement du secteur bancaire africain, mais plutôt une réorganisation où les acteurs locaux et les nouvelles technologies prennent le relais.
Le temps des acteurs locaux
Ces dernières années, certains hommes d’affaires africains notamment de l’espace Uemoa se sont bien illustrés en acquérant des banques étrangères. D’abord en 2023, le Sénégalais Pathé Dione, défunt fondateur du groupe Sunu, avais acquis 54,11% des parts du capital de la Banque internationale pour le commerce et l’industrie du Sénégal (Bicis), alors filiale sénégalaise de Bnp Paribas.
En 2022, l’homme d’affaires burkinabé Simon Tiemtoré avait racheté les parts de Bnp Paribas au Burkina Faso pour mettre ensuite en place l’enseigne Vista Bank. En 2024, son compatriote et patron du groupe Coris Bank international, Idrissa Nassa, a racheté le portefeuille bancaire du britannique Standard Chartered Bank en Côte d’Ivoire. « Cet accord vient renforcer la position de Coris Bank International sur le marché ivoirien. Il élargit et diversifie ainsi sa clientèle et son offre de services bancaires » avait expliqué M. Nassa.
L’homme d’affaires ivoirien Koné Dossongui s’est également illustré dans l’acquisition de grands groupes. Patron d’Atlantic Financial Group (Afg), il a finalisé l’accord de cession des 57,93% détenus par le groupe dans Société Générale Guinée. Il a également pris une participation majoritaire de 74,48% du capital social de AfrAsia Bank Ltd, la 3e banque d’Île Maurice avec un total actif de 4,6 milliards de dollars. Et récemment, l’homme d’affaires marocain Moulay Hafid El Alamy a décaissé 745 millions d’euros pour racheter la Société Générale Maroc. Pour Meissa Lô, les hommes d’affaires africains ont compris l’enjeu d’une maîtrise du secteur bancaire pour le financement de l’économie de nos États.
Car, dit-il, la plupart des grands groupes africains ont lancé une branche de services financiers après avoir compris que la finance numérique est de nos jours beaucoup plus rapide que l’activité classique des banques traditionnelles. Selon la Banque européenne d’investissement, le nombre d’entreprises africaines offrant de nouveaux produits et services dans le domaine de la finance a fortement augmenté, passant de 450 en 2020 à 1.263 au début de 2024.
Par Demba DIENG