Le Sénégal vient d’ouvrir une nouvelle séquence dans son offensive diplomatique et économique. Une délégation émiratie de haut niveau, conduite par le ministre du Commerce extérieur, Dr Thani Bin Ahmed Al Zeyoudi, a séjourné ces derniers jours à Dakar pour lancer des négociations sur un large éventail de secteurs. Agriculture, santé, numérique, mines, logements sociaux, finances publiques : tous les domaines stratégiques sont sur la table.
Un repositionnement géopolitique assumé
Ce rapprochement entre Dakar et Abou Dhabi s’inscrit dans la dynamique ouverte par les récentes visites du président Bassirou Diomaye Faye et du Premier ministre Ousmane Sonko aux Émirats arabes unis, dans un contexte où les discussions avec les bailleurs traditionnels, notamment le FMI et la Banque mondiale se poursuivent toujours.
Depuis mars 2024, les nouvelles autorités ont enclenché un tournant assumé dans leur stratégie d’alliances. Si le partenariat avec les Émirats arabes unis et la Turquie existait déjà, Dakar a choisi de le renforcer et de l’approfondir, dans un contexte où les financements internationaux tardent à se concrétiser. Cette orientation ne rompt pas avec les circuits traditionnels, mais constitue une alternative complémentaire destinée à diversifier les sources de soutien et à réduire la dépendance aux bailleurs occidentaux.
La récente mission du ministre de l’Industrie et du Commerce, Dr Serigne Guèye Diop, en Arabie saoudite, illustre parfaitement ce mouvement de repositionnement économique de Dakar vers le Golfe. À l’issue de sa visite, le Sénégal et Riyad ont validé le deuxième Programme Pays (PCP2), un accord stratégique portant sur un financement de 1 000 milliards de FCFA.
Ce programme vise à accélérer l’aménagement et le développement de zones industrielles et agro-industrielles, un pilier essentiel de la stratégie nationale d’industrialisation. Cette avancée montre que l’ouverture diplomatique du Sénégal vers les puissances du Golfe ne se limite pas aux Émirats arabes unis. Elle s’inscrit dans une dynamique régionale plus large, axée sur des partenariats structurants et sur le long terme.
Pourquoi les Émirats séduisent Dakar
Les Émirats arabes unis, pour leur part, se positionnent désormais comme l’un des investisseurs les plus influents du continent africain. Entre 2019 et 2023, ils ont engagé plus de 110 milliards de dollars sur le continent, dans des secteurs stratégiques tels que l’énergie renouvelable, les infrastructures portuaires, la logistique, les mines ou encore les technologies numériques. Un portefeuille d’investissements qui correspond parfaitement aux ambitions du Sénégal, engagé dans une stratégie d’industrialisation et de souveraineté économique.
Les grands groupes émiratis, à l’image de DP World ou d’Abu Dhabi Ports Group, gèrent aujourd’hui des infrastructures portuaires majeures sur le continent et contribuent activement à la modernisation des chaînes logistiques africaines. Pour le Sénégal, ce savoir-faire pourrait se traduire par une montée en puissance du futur port de Ndayane, par la création de corridors logistiques et par une insertion renforcée dans les flux commerciaux régionaux et internationaux.
Énergies, mines, numérique : les contours d’un partenariat élargi
Les discussions engagées à Dakar dessinent les bases d’un partenariat multiforme appelé à remodeler plusieurs secteurs clés de l’économie sénégalaise. Parmi les engagements déjà identifiés figurent la réalisation du réseau gazier national, un chantier structurant pour la valorisation des ressources énergétiques, ainsi que la mise en exploitation plus efficace des mines de fer. La création du Comptoir de l’or du Sénégal fait également partie des projets phares, tout comme l’installation d’une unité de production d’engrais NPK destinée à soutenir l’agriculture.
Les Émirats ont par ailleurs accepté d’accompagner la digitalisation des finances publiques, l’une des priorités du programme de modernisation de l’État. Ce volet constitue un enjeu essentiel pour accroître la transparence, renforcer la traçabilité des dépenses et améliorer la mobilisation des ressources internes.
Logements sociaux, industrie pharmaceutique et énergie verte..
Le partenariat s’étend également au développement d’un vaste programme de logements sociaux, à la construction de deux centrales énergétiques – l’une photovoltaïque, l’autre de 200 MW – ainsi qu’à l’installation d’une usine de fabrication de médicaments génériques. Ces projets montrent une volonté d’investir simultanément dans les infrastructures, l’énergie, la santé et l’industrie, dans une logique de transformation structurelle.
Les Émirats ont aussi manifesté leur intérêt pour le financement et la création d’agropoles régionales, destinées à renforcer la sécurité alimentaire et à dynamiser la production agricole. La mise en place d’infrastructures logistiques modernes complète cet ensemble d’engagements qui pourraient faire basculer le Sénégal dans une nouvelle ère d’investissements productifs.
Préservation des intérêts nationaux
Ce rapprochement stratégique offre au Sénégal une marge de manœuvre nouvelle à un moment où les financements traditionnels se font rares. Les engagements annoncés constituent une opportunité majeure pour relancer l’économie et moderniser les secteurs clés du pays. Mais cette trajectoire s’accompagne d’exigences fortes. La transparence dans la conclusion des accords, la protection des intérêts nationaux, la durabilité des investissements et les retombées pour les populations devront être scrutées avec attention.
Si ces accords se matérialisent de manière cohérente et équilibrée, le pays pourrait s’imposer comme un carrefour stratégique entre l’Afrique de l’Ouest et le Golfe, donnant une nouvelle dimension à sa diplomatie économique.
Par Cheikh Gora DIOP


