Le rapport définitif de la Cour des Comptes du Sénégal, couvrant la période de 2019 à mars 2024, révèle des dysfonctionnements majeurs dans la gestion des finances publiques. Ces irrégularités impliquent plusieurs acteurs clés, dont le Ministère des Finances et du Budget, la Cour des Comptes elle-même, l’Assemblée nationale, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA), le Fonds Monétaire International (FMI), la société civile et, en fin de compte, le peuple sénégalais.
Principales conclusions du rapport
La Cour des Comptes souligne une augmentation préoccupante de la dette publique, atteignant 18 558,91 milliards de FCFA au 31 décembre 2023, soit 99,67 % du PIB.Cette situation résulte en partie de la sous-évaluation systématique de l’endettement et de pratiques de gestion opaques.
Par exemple, des écarts inexpliqués dans les reports de surfinancements et des emprunts contractés sans autorisation parlementaire ont été mis en évidence.
Parallèlement, la masse salariale de la fonction publique a connu une hausse de 74,97 % en cinq ans, passant de 744,96 milliards de FCFA en 2019 à 1 303,50 milliards de FCFA en 2023.Cette augmentation rapide soulève des questions quant à la soutenabilité des finances publiques et à l’efficacité des dépenses engagées.
Responsabilités des acteurs impliqués
Ministère des Finances et du Budget : Chargé de la gestion des ressources financières de l’État, le ministère est pointé du doigt pour des pratiques budgétaires non transparentes, notamment l’exécution de dépenses en dehors des circuits officiels et le non-respect des procédures établies.
Cour des Comptes : En tant qu’organe de contrôle, la Cour a pour mission de veiller à la bonne gestion des finances publiques. Bien qu’elle ait révélé ces dysfonctionnements, des questions se posent quant à la réactivité et à l’efficacité de ses mécanismes de surveillance au cours de la période concernée.
Assemblée nationale : Institution législative responsable de l’adoption des lois de finances et du contrôle de l’action gouvernementale, l’Assemblée nationale est critiquée pour un manque de vigilance et de rigueur dans l’exercice de son rôle de contrôle budgétaire.
BCEAO : En tant que banque centrale, la BCEAO supervise la politique monétaire et la stabilité financière. Sa responsabilité est engagée dans la mesure où une surveillance plus stricte aurait pu prévenir certaines dérives constatées.
UEMOA : L’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine est responsable de l’application des critères de convergence économique, qui incluent notamment des plafonds d’endettement et de déficit budgétaire. Le ratio de l’encours de la dette intérieure et extérieure rapporté au PIB nominal ne doit pas excéder 70 %, or, le Sénégal a largement dépassé ce seuil.
L’UEMOA aurait dû renforcer ses mécanismes de suivi pour s’assurer du respect de cette norme.
FMI : Partenaire financier du Sénégal, le FMI a suspendu un prêt de 1,9 milliard de dollars en raison des irrégularités découvertes. Cette situation souligne la nécessité pour le FMI de renforcer ses mécanismes de suivi et de vérification des données fournies par les autorités nationales.
Société civile : La société civile joue un rôle crucial dans la transparence et le contrôle citoyen des finances publiques. Cependant, son action a été insuffisante pour alerter et faire pression sur les décideurs. Un renforcement de ses capacités d’investigation et de mobilisation s’impose.
Peuple sénégalais : En fin de compte, c’est la population qui subit les conséquences de ces dysfonctionnements à travers une détérioration des services publics, une augmentation de la dette et une possible instabilité économique.
Vers une prise de conscience collective
La situation actuelle des finances publiques sénégalaises est le résultat d’une série de manquements et de négligences de la part de divers acteurs institutionnels. Pour remédier à cette crise, une prise de conscience collective est indispensable. Chaque partie prenante doit assumer sa part de responsabilité et s’engager dans des réformes structurelles visant à restaurer la transparence, la rigueur budgétaire et la confiance du peuple sénégalais dans ses institutions.
Abdou FALL
Ancien du Ministère des Finances et du Budget
Ancien de la Cour des Comptes
En Formation à l’Ecole nationale d’Administration publique (ENAP) –Canada
Mail : abdou_fall@hotmail.com