La Directrice générale de l’Agence pour la promotion et le Développement de l’Artisanat (Apda) évoque, dans cet entretien, les défis du secteur de l’artisanat notamment le processus de labellisation et la nécessité de changer les imaginaires pour moderniser le secteur.
Dans le cadre de vos visites de terrain, vous êtes rendu compte que la filière cuirs et peaux avait besoin d’être accompagnée ?
Effectivement. Depuis notre arrivée, nous privilégions les visites de proximité et le contact avec les acteurs. Pour les cuirs et peaux, il y a plusieurs projets structurants. Nous avons, par exemple, le projet « La Maison du Cuir », qui est un projet important, dans le cadre des Joj 2026.
L’État du Sénégal a voulu investir en mettant en place cette infrastructure, qui s’étend sur 1.200 mètres carrés, au cœur de la Médina, reconnue pour être un endroit emblématique en matière de cuirs et peaux, mais aussi d’artisanat. Dans le cadre des Joj 2026, plusieurs stades devaient être rénovés. Le stade Iba Mar Diop en fait partie.
Plutôt que de faire sortir les artisans et de les dédommager, l’État du Sénégal a décidé de mettre en place une infrastructure. Et c’est ainsi que ce projet de « La Maison du Cuir » est né. Il s’agit d’une infrastructure qui sera une vitrine de tout ce qui est cuirs et peaux, mais aussi du Made in Sénégal en général. Il y aura également un volet formation, des ateliers… Cela va changer le visage de la Médina, mais aussi de toute la filière.
Où en êtes-vous avec la labellisation ?
Pour la labellisation, des études sont entamées, ainsi que des visites de benchmarking et de terrain. Il faut aller vers les autres pays qui ont réussi ce processus et voir comment le répliquer au Sénégal, tout en tenant compte de nos réalités socioculturelles. Ces visites de benchmarking seront mises en œuvre. Des études sont menées depuis quatre ans. Cette année, nous irons vers la mise en œuvre concrète. Mais ce qui est clair, c’est qu’on ne peut pas réussir sans les autres parties prenantes, car l’artisanat est lié à l’industrie. Dans le nouveau référentiel, l’objectif est de tirer l’artisanat vers le haut, pour faire du Sénégal un pays industrialisé. Et, on ne peut développer l’artisanat sans la transformation de nos matières premières. Les cuirs et peaux sont très importants. Je reviens de Touba, dans le cadre d’une visite pour obtenir l’accord du Khalife général des mourides afin d’implanter un projet structurant appelé « Ziar », qui s’étendra sur 20 hectares à Touba. C’est un corridor industriel et artisanal que nous allons mettre en place. L’avantage de la labellisation, c’est qu’elle inscrit dans la psychologie du consommateur que le produit a une histoire. Et il faut réussir ce pari du consommer local. Il y a, cependant, des étapes : la formation professionnelle de nos artisans, la labellisation, la promotion… Tout cela réuni fera qu’à l’avenir, les Sénégalais consommeront beaucoup plus localement les produits.
Globalement, comment se porte le secteur de l’artisanat ?
Le secteur de l’artisanat a beaucoup de potentialités mais également énormément défis. Il existe un fort potentiel créatif et culturel dans ce secteur. Quand on parle de « soft power » ou de legs immatériel que le Sénégal possède, le secteur de l’artisanat ne peut en être exclu. Aujourd’hui, dans d’autres pays africains, le secteur de l’artisanat est fortement représenté.
Les artisans sénégalais sont reconnus en Côte d’Ivoire, en Angola, en Afrique du Sud, au Nigeria ou au Rwanda. Le secteur est large et transversal, avec plus de 120 corps de métier. Il joue un rôle socio-économique important et est pourvoyeur d’emplois. Aujourd’hui, les défis sont liés au manque de structuration, à une gouvernance peu transparente, et à des freins liés à la formalisation et au financement.
Que faut-il faire ?
Il faut moderniser le secteur en essayant de changer les imaginaires autour de l’artisanat. Il faut que les Sénégalais comprennent mieux ce secteur. Beaucoup d’artisans ne savent pas qu’ils relèvent de ce domaine, tant il est transversal.
Propos recueillis par Oumar FÉDIOR