Le Sénégal n’est pas encore sorti de la liste des Pays les moins avancés (Pma), mais le processus est bien amorcé. Le pays dispose d’une période transitoire de cinq ans afin de consolider ses acquis en matière de développement devant conduire à son retrait de cette liste peu glorieuse. Quels sont les enjeux, avantages et inconvénients de ce classement ? Éléments de réponses.
Dans une résolution adoptée le 19 décembre 2024, l’Assemblée générale des Nations unies a décidé le retrait du Cambodge et du Sénégal de la catégorie des Pays les moins avancés (Pma). Sauf que la mesure n’est pas à effet immédiat. Les deux pays disposent d’une période préparatoire de cinq ans au bout de laquelle le retrait sera effectif s’ils sont arrivés à réaliser suffisamment de progrès dans l’Indice de développement humain (Idh) des Nations unies. Face à l’euphorie qu’a suscitée cette nouvelle -certains médias parlant trop tôt de « retrait » du Sénégal de la catégorie des Pma- le ministère de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères a précisé, dans un communiqué diffusé samedi 4 janvier, qu’il s’agit plutôt de « l’amorce d’un processus ».
Il faut dire que l’enjeu est important. La catégorie des Pma est une désignation de l’Onu pour identifier les pays les plus vulnérables. Le Sénégal occupe la 169e place sur 192 pays. « Donc, sortir de la 4e catégorie, celle des Pma, est une bonne nouvelle », observe le Pr Abdoulaye Diagne, directeur exécutif du Consortium pour la recherche économique et sociale (Cres). Un avis que partage l’économiste sénégalais Magaye Gaye. « Sortir de cette catégorie est une étape majeure pour un pays, signifiant qu’il a progressé dans la réalisation de certains objectifs de développement », explique cet ancien cadre à la Banque ouest africaine de développement (Boad).
D’après le Pr Abdoulaye Diagne, il y a trois domaines où le Sénégal doit faire encore beaucoup d’efforts pour que la sortie de la catégorie des Pma soit effective : l’espérance de vie à la naissance, la lutte contre l’analphabétisme de la population et la croissance économique. Il faut, dit-il, une croissance de « 8 à 10 % » dans les cinq prochaines années.
Conséquences économiques et financières
Sortir de cette catégorie des Pma implique des conséquences d’ordre économique et financier, notamment la réduction de l’aide internationale. En effet, les pays figurant dans la catégorie des Pma bénéficient d’un traitement préférentiel en matière d’aide publique au développement, de commerce ou d’accès aux financements concessionnels. « Si un pays sort de cette catégorie, il peut voir ses avantages en termes de traitement préférentiel diminuer. Cela veut dire qu’il y aura moins de financements concessionnels et le pays sera poussé vers des emprunts sur le marché des capitaux où les taux d’intérêt sont plus élevés », note le Pr Diagne.
Les pays figurant à la catégorie Pma ont également un accès préférentiel à certains marchés (Ue, États-Unis) en matière de commerce. C’est pourquoi Magaye Gaye s’interroge sur l’opportunité d’un tel changement de catégorie pour le Sénégal, à un moment où son économie semble plus vulnérable que prévu. Cependant, les deux experts s’accordent à dire que les avantages l’emportent sur les inconvénients. « Sortir de cette catégorie de pays permet d’améliorer la perception du risque pays aux yeux des investisseurs étrangers. Et s’il y a une perception plus positive du risque, cela va faciliter au pays l’accès au marché des capitaux et attirer plus d’investissements étrangers », observe le Pr Diagne. « Cette évolution représente une chance pour le pays d’attirer davantage d’investissements étrangers et de promouvoir une industrialisation durable », appuie Magaye Gaye. Abdoulaye Diagne et Magaye Gaye pensent que le démarrage de l’exploitation des hydrocarbures n’a pas joué dans cette décision parce que, disent-ils, le classement des Nations unies se fonde sur l’Idh qui prend en compte un certain nombre de critères : l’espérance de vie à la naissance, l’alphabétisation de la population et le Pib par tête.
Le pétrole dans tout cela ?
C’est dans ce dernier critère que le Sénégal a le plus progressé ces 10 dernières années, indique le Pr Abdoulaye Digne. « Le Sénégal s’est beaucoup rapproché, durant cette période, des pays de la 3e catégorie (les pays dits moyens) et a figuré dans le peloton de tête des Pma. Et si la trajectoire se maintient, effectivement, dans les deux à trois prochaines années, il sera pleinement dans la catégorie des pays à niveau de développement moyen », analyse ce grand spécialiste des questions de pauvreté et de développement. Des progrès ont aussi été notés dans le domaine de la santé avec une baisse du taux de la mortalité infantile. Cependant, ces progrès ont été plombés par la montée de l’analphabétisme. « Il y a eu des défaillances dans notre système éducatif qui se traduisent par une baisse de la qualité de l’enseignement. Nous avons pratiquement abandonné, au fil des années, toute volonté de faire face à ce défi. C’est le domaine où j’ai le plus de préoccupations, car je n’ai pas encore vu une vraie politique qui se dessine pour éradiquer l’analphabétisme, notamment à travers les langues nationales », explique le Pr Diagne.
Ces défis à relever
Comme l’a souligné l’économiste Chérif Salif Sy, nous avons rarement le beurre et l’argent du beurre en même temps. Pour sortir de la catégorie des Pma d’ici à cinq ans, le Sénégal doit relever un certain nombre de défis. Le premier concerne le renforcement des institutions et la gouvernance. « Il est essentiel de mettre en place des politiques publiques adaptées pour accompagner cette transition et garantir que les bénéfices en reviennent à l’ensemble de la population », analyse Chérif Salif Sy. L’autre défi, d’après le Pr Abdoulaye Diagne, concerne la résilience économique afin de diversifier l’économie et améliorer sa capacité à résister aux chocs extérieurs. En effet, les Pma bénéficient de certains avantages spécifiques, comme un accès privilégié aux marchés de certains pays développés. Ces avantages peuvent être perdus en sortant de cette catégorie.
Pour Babacar Sané Ba, auteur d’un ouvrage sur la diplomatie économique, ce reclassement marque la fin des privilèges et soutiens spécifiques accordés aux Pma, tels que l’accès préférentiel aux marchés internationaux, les financements concessionnels ou l’assistance technique renforcée. En d’autres termes, le Sénégal doit désormais s’intégrer à l’économie mondiale sans filet en adoptant une posture plus compétitive et proactive. « Le Sénégal doit élargir ses bases productives en renforçant ses capacités industrielles et en créant de la valeur ajoutée localement », dit-il. L’industrialisation, portée par des infrastructures modernes, comme les Zones économiques spéciales, sera un levier central. « En valorisant nos ressources naturelles et agricoles, grâce à des technologies adaptées, nous pourrons non seulement stimuler les exportations, mais répondre aussi aux besoins d’un marché local en pleine croissance », soutient M. Ba.
Seydou KA