Taxonomie verte au Sénégal : quels enjeux et défis ? Le banquier Alassane Diarra, doctorant en Sciences de gestion et spécialisé en finance verte et en gestion des risques, tente d’y répondre. Pour lui, la taxonomie présente un potentiel important à valoriser.
Dans le contexte africain, plus particulièrement au Sénégal, la taxonomie verte constitue un levier d’alignement avec les normes internationales comme celles de l’Union européenne, de la Banque africaine de développement (Bad) ou de la Bceao. C’est la conviction d’Alassane Diarra, banquier et doctorant en Sciences de gestion spécialisé en finance verte et en gestion des risques. Il estime qu’elle permet aux acteurs financiers de mieux cibler les projets à financer, d’éviter les accusations de « greenwashing » (une pratique de communication trompeuse et par laquelle une entreprise donne l’impression qu’elle est plus respectueuse de l’environnement qu’elle ne l’est en réalité), et de bénéficier d’un accès accru à des ressources vertes (fonds climat, green bonds, etc.). En ce sens, explique-t-il, elle s’inscrit dans les réformes structurelles du secteur financier, contribuant alors à orienter les capitaux vers des projets à fort impact environnemental et social. La pertinence d’un tel cadre de référence réside, aux yeux d’Alassane Diarra, dans sa capacité à clarifier les critères d’éligibilité des investissements durables, à harmoniser les pratiques de « reporting » extrafinancier et à créer un langage commun entre les décideurs, les investisseurs et les régulateurs. « Cela favorise la transparence et accroît la confiance dans les produits financiers estampillés « verts ». En outre, les pays ayant déjà adopté une taxonomie verte en tirent des bénéfices visibles », explique l’expert. À titre d’exemple, l’Afrique du Sud a officialisé sa « Green Finance Taxonomy » en 2022, renforçant ainsi la crédibilité des instruments verts sur son marché financier. Le Ghana, le Kenya et le Rwanda, à des stades plus ou moins avancés, ont également constaté une amélioration de l’allocation des ressources financières vers des projets alignés sur leurs priorités climatiques. La zone Uemoa quant à elle, souligne M. Diarra, a publié une taxonomie verte, sociale et durable pour encadrer les émissions d’obligations thématiques, ouvrant alors la voie à un marché régional plus attractif pour les investisseurs à impact.
Des avantages pour le secteur bancaire
La mise en œuvre d’une taxonomie verte présente plusieurs avantages pour le secteur bancaire et financier. D’après le banquier, elle offre un cadre clair pour identifier les activités à impact environnemental positif, stimule la création de produits financiers verts (crédits à taux bonifié, obligations vertes, « leasing » écologique), et contribue à une meilleure gestion des risques environnementaux et sociaux et de gouvernance (Esg). En facilitant l’intégration des risques climatiques dans les analyses financières, détaille-t-il, la taxonomie permet de préserver la solidité des portefeuilles et la réputation des institutions. Elle ouvre également la voie à des innovations financières orientées vers la durabilité, en mobilisant l’investissement privé pour la transition écologique. Cependant, malgré ces avantages, Alassane Diarra note qu’il reste plusieurs défis à relever pour maximiser les impacts de la taxonomie verte au Sénégal. Le premier défi, dit-il, se trouve dans l’absence, jusqu’à récemment, d’un cadre réglementaire national spécifique.
« Toutefois, une avancée notable a été franchie avec l’initiative des ministères en charge de l’Environnement et des Finances, appuyée par la Giz [Coopération allemande] et visant à élaborer la première taxonomie verte nationale en Afrique francophone. Cette initiative est actuellement en phase de consultation publique, une étape cruciale visant à assurer l’adhésion des parties prenantes et à renforcer la légitimité du cadre proposé », considère le spécialiste. Les autres défis, pour lui, incluent le manque de données environnementales fiables, notamment au niveau des Pme et du secteur informel, ainsi qu’un déficit de compétences en analyse Esg au sein des institutions financières. Cela nécessite, à son avis, des efforts soutenus en formation, en accompagnement technique et en développement d’outils d’évaluation adaptés.
Renforcer le cadre institutionnel
Pour mieux tirer parti de la taxonomie verte, M. Diarra considère qu’il faut aussi renforcer le cadre institutionnel en élaborant une taxonomie verte nationale inclusive, adaptée au contexte sénégalais, à travers une concertation multisectorielle (secteur public, privé, société civile, monde académique). L’autre levier, d’après lui, est le renforcement des capacités : développer les compétences des institutions financières en matière d’analyse et de gestion des risques Esg via des formations spécialisées et des appuis techniques. Il préconise également des dispositions réglementaires et fiscales incitatives pour favoriser le financement de projets durables, tels que des exonérations fiscales ou des bonifications de taux. Enfin, l’expert plaide pour la mise en œuvre d’un système national de collecte, de standardisation et de diffusion des données Esg fiable et accessible aux acteurs financiers. « La taxonomie verte n’est pas seulement un outil technique, elle est un véritable catalyseur de la transformation écologique et économique. Pour le Sénégal, son adoption constitue une condition essentielle pour aligner la finance avec les objectifs climatiques nationaux, renforcer l’attractivité du marché financier et accélérer la transition vers un modèle de développement plus durable, plus inclusif et plus résilient », explique Alassane Diarra. Il soutient aussi que l’engagement actuel dans un processus participatif de consultation publique est une étape décisive pour créer un référentiel crédible, contextuel et efficace.
Demba DIENG