En s’investissant dans la production d’ananas, Mohamed Lamine Manga a transformé son rêve d’enfant en réalité. Docteur en Histoire, cet enseignant à l’Université Assane Seck de Ziguinchor quitte, chaque après-midi, son laboratoire de recherches pour descendre dans son verger d’ananas, symbole de la renaissance de cette filière en Casamance.
BIGNONA – En ce début d’hivernage, le tintamarre des cigales résonne dans les bois de Colomba, un village baïnouk rattaché à la commune de Niamone (département de Bignona). Sous les arbres sauvages qui jalonnent la piste dégradée, l’herbe peine à s’imposer à cause du sol qui n’est pas encore bien arrosé. Un peu plus loin des habitations, l’on peut apercevoir des clôtures en haie, en bois, des bâtiments inachevés et un portail en grillage.
Mohamed Lamine Manga, le maître des lieux, veille sur tout, comme le petit manguier omis lors de l’arrosage. Loin des amphithéâtres de l’Université Assane Seck de Ziguinchor, le titulaire d’un Doctorat en Histoire moderne et contemporaine, option Histoire politique, est aussi un amoureux de l’agriculture. Il est convaincu que l’homme n’est rien sans la nature. « Surtout dans une société diola, très écocentrée et où l’homme ne se conçoit qu’à travers la nature », dit-il.
Décrit par ses proches comme un individu engagé, déterminé à changer les choses, l’universitaire qui se présente tantôt comme forestier, tantôt comme agriculteur, est un homme de défi. Dans son verger qui s’étend sur presque cinq hectares, il a tenté une culture rare en Casamance : l’ananas. Histoire d’en finir avec ces paradigmes qui n’ont pas évolué.
Une production de 15 à 17 tonnes attendue
« Quand vous consultez les paysans, vous vous rendez compte qu’ils sont dans la riziculture, la culture arachidière… Pourtant, le climat permet de développer l’ananas », explique Mohamed Lamine Manga, debout au milieu des planches.
Issu d’une famille où les grands-parents étaient des planteurs, Mohamed nourrissait, depuis son jeune âge, le rêve de créer son propre verger. Alors qu’il était élève en classe de première, il expérimente l’ananas en plantant une couronne que son défunt père avait achetée. Le test réussit, c’est le début de son histoire avec cette spéculation. « La couronne s’est fendue en deux et cela a produit un ananas. Je me suis dit alors que je développerais cette culture le jour où j’aurais les moyens », se souvient-il.
Faire de la Casamance une région exportatrice
En 2012, il aménage ainsi un premier verger. Quatre ans plus tard, il en achète un second de cinq hectares. Il sollicite Gérard Wartraux, un agriculteur connu à Ziguinchor pour son élevage de crocodiles à Djibélor. Mais, Mohamed Lamine Manga fait face à un problème : les rejets d’ananas sont très chers sous nos cieux. « Au regard de mes ambitions, j’ai effectué un voyage au Bénin en 2023. J’ai acheté une importante quantité de rejets », confie-t-il.
Grâce à ce nouvel investissement, il engage sept ouvriers agricoles permanents et 20 saisonniers. Avec cette volonté de développer le secteur de l’ananas en Casamance, il produit la variété dénommée Cayenne : lisse, juteuse et propice pour la commercialisation. Un seul fruit peut peser jusqu’à trois kilogrammes.
Il mise alors sur une production de 15 à 17 tonnes d’ananas cette année. À partir de novembre et décembre, période de la saison touristique, il trouve possible d’atteindre 40 à 50 tonnes. Une prévision assez importante qui fait courir les femmes transformatrices. Ces dernières frappent aux portes du verger, faisant part de leur intérêt pour acheter plus de la moitié de la production pour la transformation en jus de fruits.Des industriels et des hôteliers casamançais se positionnent également.
En tant Professeur d’Histoire moderne et contemporaine, Mohamed Lamine Manga souligne que le Sénégal a longtemps été étiqueté comme un pays sahélien défavorable à la production de l’ananas. Ses efforts sont la preuve que l’ananas peut bien rapporter au Sénégal, un pays sahélien. Pour lui, cette étiquette est une construction coloniale, car de la Casamance à la vallée du fleuve Sénégal, le Sénégal présente une bonne pédologie où l’on peut développer l’ananas.« Notre ambition, c’est de faire de la Casamance une zone exportatrice vers les autres régions du pays », déclare-t-il.
La culture de l’ananas étant favorable dans un climat humide comme celui de la Casamance, Mohamed Lamine Manga travaille, depuis quelque temps, avec les communautés villageoises pour donner un nouveau souffle aux forêts. Chaque année, il mène des opérations de reboisement.
« Nous avons fait des plaidoyers pour la reforestation et des actions dans le département de Bignona. Nous avons créé huit forêts communautaires dans ce département ; ce qui est un avantage pour la production de l’ananas qui a besoin d’humidité », renseigne le planteur.
Par Jonas Souloubany BASSÈNE